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que Chicot fit pendant toute la journée une marche que Xénophon n’eût pas trouvée indigne d’immortaliser dans sa retraite des Dix Mille.

Tout arbre, tout accident de terrain, toute muraille lui servaient de point d’observation ou de fortification naturelle.

Il avait même conclu, chemin faisant, des alliances, sinon offensives, du moins défensives.

En effet, quatre gros marchands épiciers de Paris, qui s’en allaient commander à Orléans leurs confitures de Cotignac, et à Limoges leurs fruits secs, daignèrent agréer la société de Chicot, lequel s’annonça pour un chaussetier de Bordeaux, retournant chez lui après ses affaires faites. Or, comme Chicot, Gascon d’origine, n’avait perdu son accent que lorsque l’absence de cet accent lui était particulièrement nécessaire, il n’inspira aucune défiance à ses compagnons de voyage.

Cette armée se composait donc de cinq maîtres et de quatre commis épiciers : elle n’était pas plus méprisable quant à l’esprit que quant au nombre, attendu les habitudes belliqueuses introduites depuis la ligue dans les mœurs de l’épicerie parisienne.

Nous n’affirmerons pas que Chicot professait un grand respect pour la bravoure de ses compagnons ; mais, alors certainement, le proverbe dit vrai qui assure que trois poltrons ensemble ont moins peur qu’un brave tout seul.

Chicot n’eut plus peur du tout, du moment où il se trouva avec quatre poltrons ; il dédaigna même de se retourner dès lors, comme il faisait auparavant, pour voir ceux qui pouvaient le suivre.

Il résulta de là qu’on atteignit sans encombre, en politiquant beaucoup, et en faisant force bravades, la ville désignée pour le souper et le coucher de la troupe.

On soupa, on but sec, et chacun gagna sa chambre.

Chicot n’avait épargné, pendant ce festin, ni sa verve