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sans rien dire, avec ces éternels huit ou dix milles hommes, toujours détruits et toujours renaissants, à l’aide desquels depuis dix ou douze ans il tient en échec le duc d’Albe, don Juan Requesens et le duc de Parme.

— Ainsi, vous persistez dans votre opinion ?

— Dans laquelle ?

— Que nous serons battus ?

— Immanquablement.

— Eh bien ! c’est facile à éviter, pour votre part, du moins, monsieur de Joyeuse, continua aigrement le prince ; mon frère vous a envoyé vers moi pour me soutenir ; votre responsabilité est à couvert, si je vous donne congé en vous disant que je ne crois pas avoir besoin d’être soutenu.

— Votre Altesse peut me donner congé, dit Joyeuse ; mais, à la veille d’une bataille, ce serait une honte pour moi que l’accepter.

Un long murmure d’approbation accueillit les paroles de Joyeuse ; le prince comprit qu’il avait été trop loin.

— Mon cher amiral, dit-il en se levant et en embrassant le jeune homme, vous ne voulez pas m’entendre. Il me semble pourtant que j’ai raison, ou plutôt que, dans la position où je suis, je ne puis avouer tout haut que j’ai eu tort ; vous me reprochez mes fautes, je les connais : j’ai été trop jaloux de l’honneur de mon nom ; j’ai trop voulu prouver la supériorité des armes françaises, donc j’ai tort. Mais le mal est fait, en voulez-vous commettre un pire ? Nous voici devant des gens armés, c’est-à-dire devant des hommes qui nous disputent ce qu’ils m’ont offert. Voulez-vous que je leur cède ? Demain, alors, ils reprendront pièce à pièce ce que j’ai conquis ; non, l’épée est tirée, frappons, ou sinon nous serons frappés ; voilà mon sentiment.

— Du moment où Votre Altesse parle ainsi, dit Joyeuse, je me garderai d’ajouter un mot ; je suis ici pour vous obéir, Monseigneur, et d’aussi grand cœur, croyez-le bien, si vous