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— Si monsieur le comte de Saint-Aignan, dit Joyeuse, a l’habitude de donner son avis de cette façon, c’est un conseiller peu poli, voilà tout.

— Monsieur de Joyeuse, repartit vivement Saint-Aignan, Son Altesse a eu tort de me reprocher une infirmité contractée à son service ; j’ai, à la prise de Cateau-Cambrésis, reçu un coup de pique dans la tête, et, depuis ce temps, j’ai des contractions nerveuses, ce qui occasionne les grimaces dont se plaint Son Altesse… Ce n’est pas, toutefois, une excuse que je vous donne, monsieur de Joyeuse, c’est une explication, dit fièrement le comte en se retournant.

— Non, Monsieur, dit Joyeuse en lui tendant la main, c’est un reproche que vous faites, et vous avez raison.

Le sang monta au visage du duc François.

— Et à qui ce reproche ? dit-il.

— Mais à moi, probablement, Monseigneur.

— Pourquoi Saint-Aignan vous ferait-il un reproche, monsieur de Joyeuse, à vous qu’il ne connaît pas ?

— Parce que j’ai pu croire un instant que M. de Saint-Aignan aimait assez peu Votre Altesse pour lui donner le conseil de prendre Anvers.

— Mais enfin, s’écria le prince, il faut que ma position se dessine dans le pays. Je suis duc de Brabant et comte de Flandre de nom, il faut que je le sois aussi de fait. Ce Taciturne, qui se cache je ne sais où, m’a parlé d’une royauté. Où est-elle, cette royauté ? dans Anvers. Où est-il, lui ? dans Anvers aussi, probablement. Eh bien, il faut prendre Anvers, et, Anvers pris, nous saurons à quoi nous en tenir.

— Eh ! Monseigneur, vous le savez déjà, sur mon âme ! ou vous seriez en vérité moins bon politique qu’on ne le dit. Qui vous a donné le conseil de prendre Anvers ? M. le prince d’Orange, qui a disparu au moment de se mettre en campagne ; M. le prince d’Orange, qui, tout en laissant Votre Altesse duc de Brabant, s’est réservé la lieutenance générale du duché ; le prince d’Orange, qui a intérêt à ruiner les Es-