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se retira en arrière, interrompant tout net le fil de son discours. François avait l’air de ne pas écouter, mais il écoutait rééllement ; aussi cette impatience de Joyeuse ne lui échappa-t-elle point, et, sur-le-champ :

— Monsieur l’amiral, dit-il, qu’avez-vous ?

— Rien, Monseigneur ; j’attends seulement que Votre Altesse ait le loisir de m’écouter.

— Mais j’écoute, monsieur de Joyeuse, j’écoute, répondit allègrement le duc. Ah ! vous autres Parisiens, vous me croyez donc bien épaissi par la guerre de Flandre, que vous pensez que je ne puis écouter deux personnes parlant ensemble, quand César dictait sept lettres à la fois !

— Monseigneur, répondit Joyeuse en lançant au pauvre musicien un coup d’œil sous lequel celui-ci plia avec son humilité ordinaire, je ne suis pas un chanteur pour avoir besoin que l’on m’accompagne quand je parle.

— Bon, bon, duc ; taisez-vous, Aurilly.

Aurilly s’inclina.

— Donc, continua François, vous n’approuvez pas mon coup de main sur Anvers, monsieur de Joyeuse ?

— Non, Monseigneur.

— J’ai adopté ce plan en conseil, cependant.

— Aussi, Monseigneur, n’est-ce qu’avec une grande réserve que je prends la parole, après tant d’expérimentés capitaines.

Et Joyeuse, en homme de cour, salua autour de lui.

Plusieurs voix s’élevèrent pour affirmer au grand amiral que son avis était le leur.

D’autres, sans parler, firent des signes d’assentiment.

— Comte de Saint-Aignan, dit le prince à l’un de ses plus braves colonels, vous n’êtes pas de l’avis de M. de Joyeuse, vous ?

— Si fait, Monseigneur, répondit M. de Saint-Aignan.

— Ah ! c’est que, comme vous faisiez la grimace…

Chacun se mit à rire. Joyeuse pâlit, le comte rougit.