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perd son équilibre et tombe sur la lampe qu’elle éteint et sur la table qu’elle écrase.

Chicot avait la faculté, tout en dormant bien, de s’éveiller vite et avec toute sa présence d’esprit ; cette présence d’esprit lui indiqua qu’il valait mieux se laisser glisser dans la ruelle que de descendre en avant du lit. En se laissant glisser dans la ruelle, ses deux mains alertes et aguerries se portèrent rapidement à gauche sur le sac d’écus, à droite sur la poignée de son épée.

Chicot ouvrit de grands yeux. Nuit profonde.

Chicot alors ouvrit les oreilles, et il lui sembla que cette nuit était littéralement déchirée par le combat des quatre vents qui se disputaient toute cette chambre, depuis l’armoire, qui continuait d’écraser de plus en plus la table, jusqu’aux chaises, qui roulaient et se choquaient tout en se cramponnant aux autres meubles.

Il semble à Chicot, au milieu de tout ce fracas, que les quatre vents sont entrés chez lui en chair et en os, et qu’il a affaire à Eurus, à Notus, à Aquilo et à Boréas en personne, avec leurs grosses joues et surtout leurs gros pieds.

Résigné, parce qu’il comprend qu’il ne peut rien contre les dieux de l’Olympe, Chicot s’accroupit dans l’angle de sa ruelle, semblable au fils d’Oïlée, après une de ses grandes fureurs que raconte Homère.

Seulement il tient la pointe de sa longue épée en arrêt et du côté du vent, ou plutôt des vents, afin que si les mythologiques personnages s’approchent inconsidérément de lui, ils s’embrochent tout seuls, dût-il résulter ce qui résulta de la blessure faite par Diomède à Vénus.

Seulement, après quelques minutes du plus abominable tintamarre qui ait jamais déchiré oreille humaine, Chicot profite d’un moment de répit que lui donne la tempête pour dominer de sa voix les éléments déchaînés et les meubles livrés à des colloques trop bruyants pour être tout à faits naturels.