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mais ils nous pardonneront en faveur de l’avis : tant de gens sont ennuyeux sans prévenir !

Ceux de nos lecteurs qui ont bien voulu perdre leur temps à feuilleter la Reine Margot et la Dame de Monsoreau, connaissent déjà monsieur le duc d’Anjou, ce prince jaloux, égoïste, ambitieux et impatient, qui, né si près du trône, dont chaque événement semblait le rapprocher, n’avait jamais pu attendre avec résignation que la mort lui fît un chemin libre. Ainsi l’avait-on vu d’abord désirer le trône de Navarre sous Charles IX, puis celui de Charles IX lui-même, enfin celui de France occupé par son frère, Henri, ex-roi de Pologne, lequel avait porté deux couronnes, à la jalousie de son frère qui n’avait jamais pu en attraper une.

Un instant alors il avait tourné les yeux vers l’Angleterre, gouvernée par une femme, et pour avoir le trône il avait demandé à épouser la femme, quoique cette femme s’appelât Élisabeth et eût vingt ans de plus que lui.

Sur ce point, la destinée avait commencé de lui sourire, si toutefois c’eût été un sourire de la fortune que d’épouser l’altière fille de Henri VIII. Celui qui, toute sa vie, dans ses désirs hâtifs, n’avait pu réussir même à défendre sa liberté ; qui avait vu tuer, fait tuer peut-être, ses favoris La Mole et Coconnas, et sacrifié lâchement Bussy, le plus brave de ses gentilshommes : le tout sans profit pour son élévation et avec grand dommage pour sa gloire ; ce répudié de la fortune se voyait tout à la fois accablé des faveurs d’une grande reine, inaccessible jusque-là à tout regard mortel, et porté par tout un peuple à la première dignité que ce peuple pouvait conférer. Les Flandres lui offraient une couronne, et Élisabeth lui avait donné son anneau.

Nous n’avons pas la prétention d’être historien ; si nous le devenons parfois, c’est quand par hasard l’histoire descend au niveau du roman, ou mieux encore, quand le roman monte à la hauteur de l’histoire ; c’est alors que nous plongeons nos regards curieux dans l’existence princière du