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une expression qui semblait n’appartenir à aucune créature humaine.

Puis elle s’abîma dans une rêverie sombre qui lui fit oublier, en apparence, le malheur présent et les malheurs passés. Tout à coup elle se dressa, la main appuyée au bras du fauteuil.

— C’est cela, dit-elle, et ainsi tout sera mieux. Remy !

Le fidèle serviteur écoutait sans doute à la porte, car il apparut aussitôt.

— Me voici, Madame, répondit-il.

— Mon digne ami, mon frère, dit Diane, vous la seule créature qui me connaisse en ce monde, dites-moi adieu.

— Pourquoi cela, Madame ?

— Parce que l’heure est venue de nous séparer, Remy.

— Nous séparer ! s’écria le jeune homme avec un accent qui fit tressaillir sa compagne. Que dites-vous, Madame ?

— Oui, Remy. Ce projet de vengeance me paraissait noble et pur, tant qu’il y avait un obstacle entre lui et moi, tant que je ne l’apercevais qu’à l’horizon ; ainsi sont les choses de ce monde : grandes et belles de loin. Maintenant que je touche à l’exécution, maintenant que l’obstacle a disparu, je ne recule pas, Remy ; mais je ne veux pas entraîner à ma suite, dans le chemin du crime, une âme généreuse et sans tache ; ainsi, vous me quitterez, mon ami. Toute cette vie passée dans les larmes me comptera comme une expiation devant Dieu et devant vous, et elle vous comptera aussi à vous, je l’espère ; et vous, qui n’avez jamais fait et qui ne ferez jamais de mal, vous serez deux fois sûr du ciel.

Remy avait écouté les paroles de la dame de Monsoreau d’un air sombre et presque hautain.

— Madame, répondit-il, croyez-vous donc parler à un vieillard trembleur et usé par l’abus de la vie ? Madame, j’ai vingt-six ans, c’est-à-dire toute la sève de la jeunesse qui paraît tarie en moi. Cadavre arraché de la tombe, si je vis