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puis, sans ajouter un mot, elle remonta dans sa chambre.

— Enfin la voilà libre, murmura Remy, plus sombre et plus pâle qu’elle. Venez, Grandchamp, venez.

La chambre de la dame était située au premier étage, derrière un cabinet qui avait vue sur la rue, tandis que cette chambre elle-même ne tirait son jour que d’une petite fenêtre percée sur une cour.

L’ameublement de cette pièce était sombre, mais riche ; les tentures en tapisseries d’Arras, les plus belles de l’époque, représentaient les divers sujets de la Passion.

Un prie-Dieu en chêne sculpté, une stalle de la même matière et du même travail, un lit à colonnes torses, avec des tapisseries pareilles à celles des murs, enfin un tapis de Bruges, voilà tout ce qui ornait la chambre.

Pas une fleur, pas un joyau, pas une dorure ; le bois et le fer bruni remplaçaient partout l’argent et l’or ; un cadre de bois noir enfermait un portrait d’homme placé dans un pan coupé de la chambre, et sur lequel donnait le jour de la fenêtre, évidemment percée pour l’éclairer.

Ce fut devant ce portrait que la dame alla s’agenouiller avec un cœur gonflé, mais des yeux arides.

Elle attacha sur cette figure inanimée un long et indicible regard d’amour, comme si cette noble image allait s’animer pour lui répondre.

Noble image, en effet, et l’épithète semblait faite pour elle.

Le peintre avait représenté un jeune homme de vingt-huit à trente ans, couché moitié nu sur un lit de repos ; de son sein entr’ouvert tombaient encore quelques gouttes de sang ; une de ses mains, la main droite, pendait mutilée, et cependant elle tenait encore un tronçon d’épée.

Ses yeux se fermaient comme ceux d’un homme qui va mourir ; la pâleur et la souffrance donnaient à cette physionomie un caractère divin que le visage de l’homme ne commence à prendre qu’au moment où il quitte la vie pour l’éternité.