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pas avoué vous-même, en le quittant la dernière fois, que mon père n’avait plus longtemps à vivre ?

— Oui, sans doute, mais c’était une crainte exprimée et non une prédiction faite ; Dieu prend parfois en oubli les vieillards, et ils vivent, c’est étrange à dire, par l’habitude de vivre ; il y a même plus : parfois encore le vieillard est comme l’enfant, malade aujourd’hui, dispos demain.

— Hélas ! Remy, et comme l’enfant aussi, le vieillard dispos aujourd’hui, demain est mort.

Remy ne répondit pas, car aucune réponse rassurante ne pouvait réellement sortir de sa bouche, et un silence lugubre succéda pendant quelques minutes au dialogue que nous venons de rapporter.

Chacun des deux interlocuteurs resta dans sa position morne et pensive.

— Pour quelle heure avez-vous demandé les chevaux, Remy ? demanda enfin la dame mystérieuse.

— Pour deux heures après minuit.

— Une heure vient de sonner.

— Oui, Madame.

— Personne ne guette au dehors, Remy ?

— Personne.

— Pas même ce malheureux jeune homme ?

— Pas même lui !

Remy soupira.

— Vous me dites cela d’une façon étrange, Remy.

— C’est que celui-là aussi a pris une résolution.

— Laquelle ? demanda la dame en tressaillant.

— Celle de ne plus nous voir, ou du moins de ne plus essayer à nous voir.

— Et où va-t-il ?

— Où nous allons tous ; au repos.

— Dieu le lui donne éternel ! répondit la dame d’une voix grave et froide comme un glas de mort, et cependant…

Elle s’arrêta.