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À cette vue, qui semblait une apparition, chacun sentit un frisson lui courir par tout le corps.

Ernauton descendit du seuil, comme eût fait la statue du commandeur de son piédestal, et marcha droit à Sainte-Maline, sans provocation réelle, mais avec une fermeté qui fit battre plus d’un cœur.

À cette vue, de toutes parts on cria à M. de Carmainges :

— Venez par ici, Ernauton ; venez de ce côté, Carmainges, il y a une place près de moi.

— Merci, répondit le jeune homme, c’est près de M. de Sainte-Maline que je veux m’asseoir.

Sainte-Maline se leva ; tous les yeux étaient fixés sur lui.

Mais, dans le mouvement qu’il fit en se levant, sa figure changea complètement d’expression.

— Je vais vous faire la place que vous désirez, Monsieur, dit-il sans colère, et en vous la faisant, je vous adresserai des excuses bien franches et bien sincères pour ma stupide agression de tout à l’heure ; j’étais ivre, vous l’avez dit vous-même ; pardonnez-moi.

Cette déclaration, faite au milieu du silence général, ne satisfit point Ernauton, quoiqu’il fût évident que pas une syllabe n’en avait été perdue pour les quarante-trois convives, qui regardaient avec anxiété de quelle façon se terminerait cette scène.

Mais aux dernières paroles de Sainte-Maline, les cris de joie de ses compagnons montrèrent à Ernauton qu’il devait paraître satisfait, et qu’il était pleinement vengé.

Son bon sens le força donc à se taire.

En même temps, un regard jeté sur Sainte-Maline lui indiquait qu’il devait se défier de lui plus que jamais.

— Ce misérable est brave, cependant, se dit tout bas Ernauton, et s’il cède en ce moment, c’est par suite de quelque odieuse combinaison qui le satisfait davantage.

Le verre de Sainte-Maline était plein ; il remplit celui d’Ernauton.