Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Celle que mon cœur désire, celle que mon imagination fait jeune, belle, puissante et riche, trop riche et trop puissante même, pour que je puisse croire que ce qui m’arrive est bien réel, et que je ne rêve pas en ce moment.

— Avez-vous eu beaucoup de peine à entrer ici ? demanda la dame sans répondre directement à ce flot de paroles qui s’échappait du cœur trop plein d’Ernauton.

— Non, Madame, l’accès m’en a même été plus facile que je ne l’eusse pensé.

— Pour un homme, tout est facile, c’est vrai ; seulement il n’en est pas de même pour une femme.

— Je regrette bien, Madame, toute la peine que vous avez prise, et dont je ne puis que vous offrir mes bien humbles remerciements.

Mais la dame paraissait déjà avoir passé à une autre pensée.

— Que me disiez-vous, Monsieur ? fit-elle négligemment en ôtant son gant, pour montrer une adorable main ronde et effilée à la fois.

— Je vous disais, Madame, que, sans avoir vu vos traits, je sais qui vous êtes, et que, sans crainte de me tromper, je puis vous dire que je vous aime.

— Alors vous croyez pouvoir répondre que je suis bien celle que vous vous attendiez à trouver ici ?

— À défaut du regard, mon cœur me le dit.

— Donc, vous me connaissez ?

— Je vous connais, oui.

— En vérité, vous, un provincial à peine débarqué, vous connaissez déjà les femmes de Paris ?

— Parmi toutes les femmes de Paris, Madame, je n’en connais encore qu’une seule.

— Et celle-là, c’est moi ?

— Je le crois.

— Et à quoi me reconnaissez-vous ?