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et qui, depuis qu’il est mort, suis devenu un cœur endurci ; eh bien ! moi, moi, qui ne suis que son serviteur, je vous le répète, jamais je ne m’en consolerai.

— Cet homme tant regretté, interrompit Henri, ce mort bienheureux, ce mari…

— Ce n’était pas le mari, c’était l’amant, monsieur le comte, et une femme comme celle que malheureusement vous aimez n’a qu’un amant dans toute sa vie.

— Mon ami ; mon ami ! s’écria le jeune homme, effrayé de la majesté sauvage de cet homme à l’esprit élevé, et qui cependant était perdu sous des habits vulgaires, mon ami, je vous en conjure, intercédez pour moi !

— Moi ! s’écria-t-il, moi ! écoutez, monsieur le comte, si je vous eusse cru capable d’user de violence envers ma maîtresse, je vous eusse tué, tué de cette main.

Et il tira de dessous son manteau un bras nerveux et viril qui semblait celui d’un homme de vingt-cinq ans à peine, tandis que ses cheveux blanchis et sa taille courbée lui donnaient l’apparence d’un homme de soixante ans.

— Si, au contraire, continua-t-il, j’eusse pu croire que ma maîtresse vous aimât, c’est elle qui serait morte. Maintenant, monsieur le comte, j’ai dit ce que j’avais à dire, ne cherchez point à m’en faire avouer davantage ; car, sur mon honneur, et quoique je ne sois pas gentilhomme, croyez-moi, mon honneur vaut quelque chose, car, sur mon honneur, j’ai dit tout ce que je pouvais avouer.

Henri se leva la mort dans l’âme.

— Je vous remercie, dit-il, d’avoir eu cette compassion pour mes malheurs ; maintenant je suis décidé.

— Ainsi, vous serez plus calme à l’avenir, monsieur le comte ; ainsi vous vous éloignerez de nous, vous nous laisserez à une destinée pire que la vôtre, croyez-moi.

— Oui, je m’éloignerai de vous, en effet, soyez tranquille, dit le jeune homme, et pour toujours.

— Vous voulez mourir, je vous comprends.