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quelque coup de couteau, avec quelque coup de poignard ; mort, au moins, je ne souffrirais plus !

— Monsieur le comte, répondit le serviteur après avoir scrupuleusement écouté tout ce que venait de dire le jeune homme, la dame que vous accusez est loin, croyez-le bien, d’avoir le cœur aussi insensible et surtout aussi cruel que vous le dites ; elle souffre plus que vous, car elle vous a vu quelquefois, car elle a compris ce que vous souffrez, et elle ressent pour vous une vive sympathie.

— Oh ! de la compassion ! de la compassion ! s’écria le jeune homme en essuyant la sueur froide qui coulait de ses tempes ; oh ! vienne le jour où son cœur, que vous vantez, connaîtra l’amour, l’amour tel que je le sens ; et si, en échange de cet amour, on lui offre alors de la compassion, je serai bien vengé.

— Monsieur le comte, monsieur le comte, ce n’est pas une raison de n’avoir point aimé que de ne pas répondre à l’amour ; cette femme a peut-être connu la passion plus forte que vous ne la connaîtrez jamais, cette femme a peut-être aimé comme jamais vous n’aimerez.

Henri leva les mains au ciel.

— Quand on a aimé ainsi, on aime toujours ! s’écria-t-il.

— Vous ai-je donc dit qu’elle n’aimait plus, monsieur le comte ? demanda le serviteur.

Henri poussa un cri douloureux et s’affaissa comme s’il eût été frappé de mort.

— Elle aime ! s’écria-t-il ; elle aime ! ah ! mon Dieu ! mon Dieu !

— Oui, elle aime ; mais ne soyez point jaloux de l’homme qu’elle aime, monsieur le comte ; cet homme n’est plus de ce monde. Ma maîtresse est veuve, ajouta le serviteur compatissant, espérant calmer par ces mots la douleur du jeune homme.

Et, en effet, comme par enchantement, ces mots lui rendirent le souffle, la vie et l’espoir.