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— Oh ! oui.

Le serviteur lui fit un signe de la main.

Henri obéit à ce signe, comme il eût obéi à un geste du roi de France ou de l’empereur romain.

— Parlez, Monsieur, dit le serviteur, quand ils furent assis l’un près de l’autre, et dites-moi votre désir.

— Mon ami, répondit du Bouchage, ce n’est pas d’aujourd’hui que nous nous parlons et que nous nous touchons ainsi. Maintes fois, vous le savez, je vous ai attendu et surpris au détour d’une rue ; alors je vous ai offert assez d’or pour vous enrichir, quand vous eussiez été le plus avide des hommes ; d’autres fois, j’ai essayé de vous intimider ; jamais vous ne m’avez écouté, toujours vous m’avez vu souffrir, et cela, sans compatir, visiblement du moins, à mes souffrances. Aujourd’hui, vous me dites de vous parler, vous m’invitez à vous exprimer mon désir : qu’est-il donc arrivé, mon Dieu ! et quel nouveau malheur me cache cette condescendance de votre part ?

Le serviteur poussa un soupir. Il y avait évidemment un cœur pitoyable sous cette rude enveloppe.

Ce soupir fut entendu de Henri et l’encouragea.

— Vous savez, continua-t-il, que j’aime et comment j’aime ; vous m’avez vu poursuivre une femme et la découvrir malgré ses efforts pour se cacher et pour me fuir ; jamais, dans mes plus grandes douleurs, une parole amère ne m’est échappée, jamais je n’ai donné suite à ces pensées de violence qui naissent du désespoir et des conseils que nous souffle avec l’ardeur du sang la fougueuse jeunesse.

— C’est vrai, Monsieur, dit le serviteur, et en ceci pleine justice vous est rendue par ma maîtresse et par moi.

— Ainsi, convenez-en, continua Henri en pressant entre ses mains les mains du vigilant gardien ; ainsi ne pouvais-je pas un soir, quand vous me refusiez l’entrée de cette maison, ne pouvais-je pas enfoncer la porte, ainsi que le fait tous les jours le moindre écolier ivre ou amoureux ? Alors,