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Le plumet blanc frisa sa petite moustache avec un mouvement d’impatience visible.

Le plumet rouge prit un air étonné, puis il lança un nouveau regard à la maison mystérieuse.

On eût pu voir alors le plumet blanc faire un pas pour franchir le Rubicon, mais le plumet rouge s’était déjà éloigné : la marche en ligne inverse recommença.

Pendant cinq minutes, on eût pu croire qu’ils ne se rencontreraient qu’aux antipodes ; mais bientôt, avec le même instinct et la même précision que la première fois, tous deux se retournèrent en même temps.

Comme deux nuages qui suivent sous des souffles contraires la même zone du ciel, et que l’on voit avancer l’un vers l’autre en déployant leurs flocons noirs, prudentes avant-gardes, les deux promeneurs arrivèrent cette fois en face l’un de l’autre, résolus à se marcher sur les pieds plutôt que de reculer d’un pas.

Plus impatient sans doute que celui qui venait à sa rencontre, le plumet blanc, au lieu de demeurer, comme il avait fait jusque-là, sur la limite du ruisseau, enjamba ledit ruisseau et fit reculer son adversaire, qui, ne se doutant pas de cette agression, et les deux bras pris sous son manteau, faillit perdre l’équilibre.

— Ah çà ! Monsieur, dit ce dernier, êtes-vous fou, ou avez-vous l’intention de m’insulter ?

— Monsieur, j’ai l’intention de vous faire comprendre que vous me gênez fort ; il m’avait même semblé que, sans que j’eusse besoin de vous le dire, vous vous en étiez aperçu.

— Pas le moins du monde, Monsieur, car j’ai pour système de ne voir jamais ce que je ne veux pas voir.

— Il y a cependant certaines choses qui attireraient vos regards, je l’espère, si on les faisait briller à vos yeux.

Et joignant le mouvement à la parole, le jeune homme au plumet blanc se débarrassa de sa cape et tira son épée