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— Du Bouchage, dit Henri, tu seras heureux, ou je cesserai de m’appeler le roi de France.

— Heureux, moi ! hélas ! sire, c’est chose impossible, dit le jeune homme avec un sourire mêlé d’une amertume inexprimable.

— Et pourquoi cela ?

— Parce que mon bonheur n’est pas de ce monde.

— Henri, insista le roi, votre frère, en partant, vous a recommandé à moi connue à un ami. Je veux, puisque vous ne consultez, sur ce que vous avez à faire, ni la sagesse de votre père, ni la science de votre frère le cardinal, je veux être pour vous un frère aîné. Voyons, soyez confiant, instruisez-moi. Je vous assure, du Bouchage, qu’à tout, excepté à la mort, ma puissance et mon affection pour vous trouveront un remède.

— Sire, répondit le jeune homme en se laissant glisser aux pieds du roi, sire, ne me confondez point par l’expression d’une bonté à laquelle je ne puis répondre. Mon malheur est sans remède, car c’est mon malheur qui fait ma seule joie.

— Du Bouchage, vous êtes un fou, et vous vous tuerez de chimères : c’est moi qui vous le dis.

— Je le sais bien, sire, répondit tranquillement le jeune homme.

— Mais enfin, s’écria le roi avec quelque impatience, est-ce un mariage que vous désirez faire, est-ce une influence que vous voulez exercer ?

— Sire, c’est de l’amour qu’il faut inspirer. Vous voyez que tout le monde est impuissant à me procurer cette faveur : moi seul je dois l’obtenir et l’obtenir pour moi seul.

— Alors pourquoi te désespérer ?

— Parce que je sens que je ne l’obtiendrai jamais, sire.

— Essaye, essaye, mon enfant ; tu es riche, tu es jeune : quelle est la femme qui peut résister à la triple influence de la beauté, de l’amour et de la jeunesse ? Il n’y en a point, du Bouchage, il n’y en a point.