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On lui répondit que Loignac essayait des chevaux limousins.

On s’attendait à voir le roi contrarié de ce double échec que venait de subir sa volonté ; pas du tout : contre l’attente générale, le roi, de l’air le plus dégagé du monde, se mit à siffloter une fanfare de chasse, distraction à laquelle il ne se livrait que lorsqu’il était parfaitement satisfait de lui.

Il était évident que toute l’envie que le roi avait eue de se taire depuis le matin se changeait en une démangeaison croissante de parler.

Cette démangeaison finit par devenir un besoin irrésistible ; mais le roi, n’ayant personne, fut obligé de parler tout seul.

Il demanda son goûter, et, pendant qu’il goûtait, se fit faire une lecture édifiante qu’il interrompit pour dire au lecteur :

— C’est Plutarque, n’est-ce pas, qui a écrit la vie de Sylla ?

Le lecteur, qui lisait du sacré, et que l’on interrompait par une question profane, se retourna avec étonnement du côté du roi.

Le roi répéta sa question.

— Oui, sire, répondit le lecteur.

— Vous souvenez-vous de ce passage où l’historien raconte que le dictateur évita la mort ?

Le lecteur hésita.

— Non pas, sire, précisément, dit-il ; il y a fort longtemps que je n’ai lu Plutarque.

En ce moment on annonça Son Éminence le cardinal de Joyeuse.

— Ah ! justement, s’écria le roi, voici un savant homme, notre ami ; il va nous dire cela sans hésiter, lui.

— Sire, dit le cardinal, serais-je assez heureux pour arriver à propos ? c’est chose rare en ce monde.

— Ma foi, oui ; vous avez entendu ma question ?