Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et il prit la lettre qu’il avait posée à terre pour lancer la bourse plus facilement dans la rivière.

Mais il venait par le chemin un âne chargé de bois.

Deux femmes conduisaient cet âne qui marchait d’un pas aussi fier que si, au lieu de bois, il eût porté des reliques.

Chicot cacha sa lettre sous sa large main, appuyée sur le sol, et les laissa passer.

Une fois seul, il reprit la lettre, en déchira l’enveloppe et en brisa le sceau avec la plus imperturbable tranquillité, et comme s’il se fût agi d’une simple lettre de procureur.

Puis il reprit l’enveloppe qu’il roula entre ses deux mains, le sceau qu’il broya entre deux pierres, et envoya le tout rejoindre le sachet.

— Maintenant, dit Chicot, voyons le style.

Et il déploya la lettre et lut :

« Notre très-cher frère, cet amour profond que vous portait notre très-cher frère et roi défunt, Charles IX, habite encore sous les voûtes du Louvre et me tient au cœur opiniâtrement. »

Chicot salua.

« Aussi me répugne-t-il d’avoir à vous entretenir d’objets tristes et fâcheux ; mais vous êtes fort dans la fortune contraire ; aussi je n’hésite plus à vous communiquer de ces choses qu’on ne dit qu’à des amis vaillants et éprouvés. »

Chicot interrompit et salua de nouveau.

« D’ailleurs, continua-t-il, j’ai un intérêt royal à vous persuader cet intérêt : c’est l’honneur de mon nom et du vôtre, mon frère.

« Nous nous ressemblons en ce point, que nous sommes tous deux entourés d’ennemis. Chicot vous l’expliquera. »

Chicotus explicabit ! dit Chicot, ou plutôt evolvet, ce qui est infiniment plus élégant.

« Votre serviteur, M. le vicomte de Turenne, fournit de sujets quotidiens de scandale à votre cour. À Dieu ne plaise