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me regarde point ; ce qui me regarde, c’est que vous rentriez. Rentrez donc, monsieur Chicot, je vous en prie.

Et le soldat mit dans sa prière un tel accent de persuasion, que cet accent toucha Chicot. En conséquence, Chicot fouilla dans sa poche, et en tira dix pistoles.

— Tu es trop ménager, mon ami, lui dit-il, pour ne pas comprendre que, puisque j’ai mis mes habits dans un état pareil pour être passé par là, ce serait bien pis si j’y repassais ; j’achèverais alors de déchirer mes habits, et j’irais tout nu, ce qui serait fort indécent dans une cour où il y a tant de jeunes et jolies femmes, à commencer par la reine ; laisse-moi donc passer pour aller chez le tailleur, mon ami.

Et il lui mit les dix pistoles dans la main.

— Passez vite alors, monsieur Chicot, passez vite.

Et il empocha l’argent.

Chicot était dans la rue : il s’orienta ; il avait parcouru la ville pour arriver au palais, c’était la route opposée à suivre, puisqu’il devait sortir par la porte opposée à celle par laquelle il était entré. Voilà tout.

La nuit, claire et sans nuages, n’était pas favorable à une évasion. Chicot regrettait ces bonnes nuits brumeuses de France qui, à l’heure qu’il était, faisaient que, dans les rues de Paris, on pouvait passer à quatre pas l’un de l’autre sans se voir ; en outre, sur le pavé pointu de la ville, ses souliers ferrés résonnaient comme des fers de cheval.

Le malencontreux ambassadeur n’eut pas plus tôt tourné le coin de la rue, qu’il rencontra une patrouille.

Il s’arrêta de lui-même en songeant qu’il aurait l’air suspect en essayant de se dissimuler ou de forcer le passage.

— Eh ! bonsoir, monsieur Chicot, lui dit le chef de la patrouille en le saluant de l’épée, voulez-vous que nous vous reconduisions au palais ? vous m’avez tout l’air d’être égaré et de chercher votre chemin.

— Ah çà ! tout le monde me connaît donc ici ? murmura Chicot. Pardieu ! voilà qui est étrange.