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— Ah ! sire, on en dit, en effet, de belles sur Votre Majesté.

Henri se renversa dans son fauteuil et se caressa la barbe en riant.

— Oui, oui, n’est-ce pas ? dit-il ; on prétend que je règne beaucoup plus sur mes sujettes que sur mes sujets.

— C’est la vérité, sire, et pourtant cela m’étonne.

— En quoi, mon compère ?

— En ce que, sire, vous avez beaucoup de cet esprit remuant qui fait les grands rois.

— Ah ! Chicot, tu te trompes, dit Henri ; je suis encore plus paresseux que remuant, et la preuve en est toute ma vie. Si j’ai un amour à prendre, c’est toujours le plus rapproché de moi ; si c’est du vin que je choisis, c’est toujours du vin de la bouteille la plus proche. À ta santé, Chicot !

— Sire, vous me faites honneur, répondit Chicot, en vidant son verre jusqu’à la dernière goutte ; car le roi le regardait de cet œil fin qui semblait pénétrer au plus profond de la pensée.

— Aussi, continua le roi en levant les yeux au ciel, que de querelles dans mon ménage, compère !

— Oui, je comprends : toutes les filles d’honneur de la reine vous adorent, sire !

— Elles sont mes voisines, Chicot.

— Eh ! eh ! sire, il résulte de cet axiome que si vous habitiez Saint-Denis, au lieu d’habiter Nérac, le roi pourrait bien ne pas vivre aussi tranquille qu’il le fait.

Henri s’assombrit.

— Le roi ! que me dites-vous là, Chicot ? reprit Henri de Navarre ; le roi ! est-ce que vous vous figurez que je suis un Guise, moi ? Je désire Cahors, c’est vrai ; mais parce que Cahors est à ma porte : toujours mon système, Chicot. J’ai de l’ambition, mais assis ; une fois levé, je ne me sens plus désireux de rien.

— Ventre de biche ! sire, répondit Chicot, cette ambition