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ces dispositions d’esprit, c’était un excellent convive que le Béarnais.

Quant à Chicot, il dissimulait de son mieux ce commencement d’inquiétude qui l’avait pris à l’apparition de l’ambassadeur d’Espagne, qui l’avait suivi dans la cour, qui s’était augmenté à la distribution de l’or aux mendiants, et qui ne l’avait pas quitté depuis.

Henri avait voulu que son compère Chicot soupât seul à seul avec lui ; à la cour du roi Henri, il s’était toujours senti un grand faible pour Chicot, un de ces faibles comme en ont les gens d’esprit pour les gens d’esprit ; et Chicot, de son côté, sauf les ambassades d’Espagne, les mendiants à mots d’ordre et les pièces d’or rognées, Chicot avait une grande sympathie pour le roi de Navarre.

Chicot voyant le roi changer de vin et se comporter de tout point en bon convive, Chicot résolut de se ménager un peu, lui, de façon à ne rien laisser passer de ce que la liberté du repas et la chaleur des vins inspiraient de saillies au Béarnais.

Henri but sec, et il avait une façon d’entraîner ses convives qui ne permettait guère à Chicot de rester en arrière de plus d’un verre de vin sur trois.

Mais c’était, on le sait, une tête de fer que la tête de mons Chicot. Quant à Henri de Navarre, tous ces vins étaient vins de pays, disait-il, et il les buvait comme petit lait.

Tout cela était assaisonné de force compliments qu’échangeaient entre eux les deux convives.

— Que je vous porte envie, dit Chicot au roi, et que votre cour est aimable et votre existence fleurie, sire ; que de bons visages je vois dans cette bonne maison, et que de richesses dans ce beau pays de Gascogne !

— Si ma femme était ici, mon cher Chicot, je ne le dirais point ce que je vais te dire ; mais, en son absence, je puis t’avouer que la plus belle partie de ma vie est celle que tu ne vois pas.