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suis pauvre, au contraire, Chicot, et je suis forcé de couper mes pistoles en deux pour faire vie qui dure.

— C’est vrai, dit Chicot avec une surprise croissante, les pièces sont des moitiés de pièces coupées, avec des dessins capricieux.

— Oh ! Je suis comme mon frère de France, qui s’amuse à découper des images : j’ai mes tics. Je m’amuse, dans mes moments perdus, moi, à rogner mes ducats. Un Béarnais pauvre et honnête est industrieux comme un juif.

— C’est égal, sire, dit Chicot en secouant la tête, car il devinait quelque nouveau mystère caché là-dessous ; c’est égal, voilà une singulière façon de faire l’aumône.

— Tu ferais autrement, toi ?

— Oui, ma foi : au lieu de prendre la peine de séparer chaque pièce, je la donnerais entière en disant : Voilà pour deux !

— Ils se battraient, mon cher, et je ferais du scandale en voulant faire du bien,

— Enfin ! murmura Chicot, résumant par ce mot, qui est la quintessence de toutes les philosophies, son opposition aux idées bizarres du roi.

Henri prit donc une demi-pièce d’or dans la bourse, et, se plaçant devant le premier des mendiants avec cette mine calme et douce qui composait son maintien habituel, il regarda cet homme sans parler, mais non sans l’interroger du regard.

— Agen, dit celui-ci en s’inclinant.

— Combien ? demanda le roi.

— Cinq cents.

— Cahors.

Et il lui remit la pièce, et en prit une autre dans la bourse.

Le mendiant salua plus bas encore que la première fois, et s’éloigna.

Il fut suivi d’un autre, qui salua avec humilité.