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— Elle se mêle donc toujours de politique, ma bonne mère Catherine ? interrompit Henri.

— Toujours ; madame Catherine aimerait mieux voir sa fille à Paris qu’à Nérac, près d’elle que près de vous.

— Tu crois ? Elle n’aime cependant pas sa fille d’une folle manière, madame Catherine.

— Non ; mais madame Marguerite vous sert d’otage, sire.

— Tu es confit en finesse, Chicot. Le diable m’emporte si j’eusse jamais songé à cela ; mais enfin tu peux avoir raison ; oui, oui, une fille de France, au besoin, est un otage. Eh bien ?

— Eh bien ! sire, en diminuant les ressources, on diminue le plaisir du séjour. Nérac est une ville fort agréable, qui possède un parc charmant et des allées comme il n’en existe nulle part ; mais madame Marguerite, privée de ressources, s’ennuiera à Nérac, et regrettera le Louvre.

— J’aime mieux ta première raison. Chicot, dit Henri en secouant la tête.

— Alors je vais vous dire la troisième. Entre le duc d’Anjou qui cherche à se faire un trône et qui remue la Flandre, entre MM. de Guise qui voudraient se forger une couronne et qui remuent la France ; entre S. M. le roi d’Espagne qui voudrait tâter de la monarchie universelle et qui remue le monde, vous, prince de Navarre, vous faites la balance, et maintenez un certain équilibre.

— En vérité ! moi, sans poids ?

— Justement. Voyez plutôt la république suisse. Devenez puissant, c’est-à-dire pesant, et vous emporterez le plateau. Vous ne serez plus un contre-poids, vous serez un poids.

— Oh ! j’aime beaucoup cette raison-là, Chicot, et elle est parfaitement bien déduite. Tu es véritablement clerc, Chicot.

— Ma foi, sire, je suis ce que je puis, dit Chicot, flatté, quoi qu’il en eût, du compliment, et se laissant aller à cette bonhomie royale à laquelle il n’était point accoutumé.