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pu faire naître dans votre cœur. Cahors, voyez-vous, est si bien défendue et si bien gardée, parce que c’est la clef du Midi.

— Hélas ! dit Henri en soupirant plus fort, je le sais bien !

— C’est, poursuivit Chicot, la richesse territoriale unie à la sécurité de l’habitation. Avoir Cahors, c’est posséder greniers, celliers, coffres-forts, granges, logements et relations ; posséder Cahors, c’est avoir tout pour soi ; ne point posséder Cahors, c’est avoir tout contre soi.

— Eh ! ventre saint-gris ! murmura le roi de Navarre, voilà pourquoi j’avais si grande envie de posséder Cahors, que j’ai dit à ma pauvre mère d’en faire une des conditions sine quâ non de mon mariage. Tiens ! voilà que je parle latin à présent. Cahors était donc l’apanage de ma femme : on me l’avait promis, on me le devait.

— Sire, devoir et payer… fit Chicot.

— Tu as raison, devoir et payer sont deux choses bien différentes, mon ami ; de sorte que ton opinion, à toi, est que l’on ne me payera point.

— J’en ai peur.

— Diable ! fit Henri.

— Et franchement… continua Chicot.

— Eh bien ?

— Franchement, on aura raison, sire.

— On aura raison ? pourquoi cela, mon ami ?

— Parce que vous n’avez pas su faire votre métier de roi, épouseur d’une fille de France, parce que vous n’avez pas su vous faire payer votre dot d’abord et remettre vos villes ensuite.

— Malheureux ! dit Henri en souriant avec amertume, tu ne te souviens donc plus du tocsin de Saint-Germain-l’Auxerrois ? Il me semble qu’un marié que l’on veut égorger la nuit même de ses noces ne songe pas tant à sa dot qu’à sa vie.

— Bon ! fit Chicot ; mais depuis ?