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femme, sœur de mon roi. Vous secourrez les Guises, dites-vous, vous leur prêterez votre appui ? Faites ; je lancerai sur eux et sur vous tous les protestants d’Allemagne et ceux de France. Le roi d’Espagne veut reconquérir les Flandres qui lui échappent ; qu’il fasse ce qu’a fait son père Charles-Quint : qu’il demande passage au roi de France pour aller réclamer son titre de premier bourgeois de Gand, et le roi Henri III, j’en suis son garant, lui donnera un passage aussi loyal que l’a fait le roi François Ier. Je veux le trône de France ? dit Sa Majesté Catholique, c’est possible ; mais je n’ai point besoin qu’elle m’aide à le conquérir : je le prendrai bien tout seul s’il est vacant, et cela malgré toutes les Majestés du monde. Adieu donc, adieu, Monsieur ! Dites à mon frère Philippe que je lui suis bien reconnaissant de ses offres. Mais je lui en voudrais mortellement si, lui les faisant, il m’avait cru un seul instant capable de les accepter. Adieu, Monsieur !

L’ambassadeur demeurait stupéfait ; il balbutia :

— Prenez garde, sire, la bonne intelligence entre deux voisins dépend d’une mauvaise parole.

— Monsieur l’ambassadeur, reprit Henri, sachez bien ceci : roi de Navarre ou roi de rien, c’est tout un pour moi. Ma couronne est si légère, que je ne la sentirais même pas tomber si elle me glissait du front ; d’ailleurs, à ce moment-là, j’aviserais de la retenir, soyez tranquille. Adieu encore une fois, Monsieur ; dites au roi votre maître que j’ai des ambitions plus grandes que celles qu’il m’a fait entrevoir. Adieu !

Et le Béarnais, redevenant, non pas lui-même, mais l’homme que l’on connaissait en lui, après s’être un instant laissé dominer par la chaleur de son héroïsme, le Béarnais, souriant avec courtoisie, reconduisit l’ambassadeur jusqu’au seuil de son cabinet.