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cessité où nous étions de décrire les appartements de Marguerite.

Chicot fut invité à s’asseoir dans un beau et bon fauteuil de tapisserie représentant un Amour éparpillant un nuage de fleurs ; un page, qui n’était pas d’Aubiac, mais qui était plus beau et plus richement vêtu, offrit de nouveaux rafraîchissements au messager.

Chicot n’accepta point, et se mit en devoir, quand le vicomte de Turenne eut quitté la place, de réciter, avec une imperturbable mémoire, la lettre du roi de France et de Pologne par la grâce de Dieu.

Nous connaissons cette lettre, que nous avons lue en français en même temps que Chicot ; nous croyons donc de toute inutilité d’en donner la traduction latine.

Chicot transmettait cette traduction avec l’accent le plus étrange possible, afin que la reine fût le plus longtemps possible à la comprendre ; mais si fort habile qu’il fût à travestir son propre ouvrage, Marguerite le saisissait au vol et ne cachait aucunement sa fureur et son indignation.

À mesure qu’il avançait dans la lettre, Chicot s’enfonçait de plus en plus dans l’embarras qu’il s’était créé ; à certains passages scabreux il baissait le nez comme un confesseur embarrassé de ce qu’il entend ; et à ce jeu de physionomie, il avait un grand avantage, car il ne voyait pas étinceler les yeux de la reine et se crisper chacun de ses nerfs aux énonciations si positives de tous ses méfaits conjugaux.

Marguerite n’ignorait pas la méchanceté raffinée de son frère ; assez d’occasions la lui avaient prouvée ; elle savait aussi, car elle n’était point femme à se rien dissimuler à elle-même, elle savait à quoi s’en tenir sur les prétextes qu’elle avait fournis et sur ceux qu’elle pouvait fournir encore ; aussi au fur et à mesure que Chicot lisait, la balance s’établissait-elle dans son esprit entre la colère légitime et la crainte raisonnable.