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À l’intérieur, des meubles modernes, des tapisseries d’un goût à la mode du jour, des tableaux, des émaux, des faïences, des armes de prix, des livres et des manuscrits grecs, latins et français, surchargeant toutes les tables, des oiseaux dans leurs volières, des chiens sur les tapis, un monde tout entier enfin, végétaux et animaux, vivant d’une commune vie avec Marguerite.

Les gens d’un esprit supérieur ou d’une vie surabondante ne peuvent marcher seuls dans l’existence ; ils accompagnent chacun de leurs sens, chacun de leurs penchants, de toute chose en harmonie avec eux, et que leur force attractive entraîne dans leur tourbillon, de sorte qu’au lieu d’avoir vécu et senti comme les gens ordinaires, ils ont décuplé leurs sensations et doublé leur existence.

Certainement Épicure est un héros pour l’humanité ; les païens eux-mêmes ne l’ont pas compris : c’était un philosophe sévère, mais qui, à force de vouloir que rien ne fût perdu dans la somme de nos ressorts et de nos ressources, procurait, dans son inflexible économie, des plaisirs à quiconque, agissant tout spirituellement ou tout bestialement, n’eût perçu que des privations ou des douleurs.

Or, on a beaucoup déclamé contre Épicure sans le connaître, et l’on a beaucoup loué, sans les connaître aussi, ces pieux solitaires de la Thébaïde qui annihilaient le beau de la nature humaine en neutralisant le laid. Tuer l’homme, c’est tuer aussi avec lui les passions, sans doute, mais enfin c’est tuer, chose que Dieu défend de toutes ses forces et de toutes ses lois.

La reine était femme à comprendre Épicure, en grec, d’abord, ce qui était le moindre de ses mérites ; elle occupait si bien sa vie, qu’avec mille douleurs elle savait composer un plaisir, ce qui, en sa qualité de chrétienne, lui donnait lieu à bénir plus souvent Dieu qu’un autre, qu’il s’appelât Dieu ou Théos, Jéhovah ou Magog.

Toute cette digression prouve clair comme le jour la né-