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Chicot, mais tout ce que j’avais de lettres de créance, je l’ai noyé dans les rivières, jeté dans le feu, éparpillé dans l’air.

— Et pourquoi cela, cher monsieur Chicot ?

— Parce qu’on ne voyage pas, quand on se rend en Navarre chargé d’une ambassade, comme on voyage pour aller acheter du drap à Lyon, et que si l’on a le dangereux honneur de porter des lettres royales, on risque de ne les porter que chez les morts.

— C’est vrai, dit Henri avec une parfaite bonhomie, les routes ne sont pas sûres, et en Navarre nous en sommes réduits, faute d’argent, à nous confier à la probité des manants ; ils ne sont pas très-voleurs, du reste.

— Comment donc ! s’écria Chicot, mais ce sont des agneaux, ce sont de petits anges, sire, mais en Navarre seulement.

— Ah ! ah ! fit Henri.

— Oui, mais, hors de la Navarre, on rencontre des loups et des vautours autour de chaque proie ; j’étais une proie, sire, de sorte que j’ai eu mes vautours et mes loups.

— Qui ne vous ont pas mangé tout à fait, au reste, je le vois avec plaisir.

— Ventre de biche ! sire, ce n’est pas leur faute ! ils ont bien fait tout ce qu’ils ont pu pour cela. Mais ils m’ont trouvé trop coriace, et n’ont pu entamer ma peau. Mais, sire, laissons là, s’il vous plaît, les détails de mon voyage, qui sont choses oiseuses, et revenons-en à notre lettre de créance.

— Mais puisque vous n’en avez pas, cher monsieur Chicot, dit Henri, il me parait fort inutile d’y revenir.

— C’est-à-dire que je n’en ai pas maintenant, mais que j’en avais une.

— Ah ! à la bonne heure ! donnez, monsieur Chicot.

Et Henri étendit la main.

— Voilà le malheur, sire, reprit Chicot ; j’avais une lettre,