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— Vous allez trouver que je suis bien curieux, cher monsieur Chicot, commença par dire le roi, mais c’est plus fort que moi ; je vous ai regardé si longtemps comme mort, que, malgré toute la joie que me cause votre résurrection, je ne puis me faire à l’idée que vous soyez vivant. Pourquoi donc avez-vous tout à coup disparu de ce monde ?

— Eh ! sire, fit Chicot avec sa liberté habituelle, vous avez bien disparu de Vincennes, vous. Chacun s’éclipse selon ses moyens, et surtout ses besoins.

— Vous avez toujours plus d’esprit que tout le monde, cher monsieur Chicot, dit Henri, et c’est à cela surtout que je reconnais ne point parler à votre ombre.

Puis prenant un air sérieux :

— Mais, voyons, ajouta-t-il, voulez-vous que nous mettions l’esprit de côté et que nous parlions affaires ?

— Si cela ne fatigue pas trop Votre Majesté, je me mets à ses ordres.

L’œil du roi étincela.

— Me fatiguer ! reprit-il.

Puis, d’un autre ton :

— Il est vrai que je me rouille ici, continua-t-il avec calme ; mais je ne suis pas fatigué tant que je n’ai rien fait. Or, aujourd’hui Henri de Navarre a, deçà et delà, fort traîné son corps, mais le roi n’a pas encore fait agir son esprit.

— Sire, j’en suis bien aise, répondit Chicot ; ambassadeur d’un roi, votre parent et votre ami, j’ai des commissions fort délicates à faire près de Votre Majesté.

— Parlez vite alors, car vous piquez ma curiosité.

— Sire…

— Vos lettres de créance d’abord, c’est une formalité inutile, je le sais, puisqu’il s’agit de vous, mais enfin, je veux vous montrer que tout paysan béarnais que nous sommes, nous savons notre devoir de roi.

— Sire, j’en demande pardon à Votre Majesté, répondit