Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

motif quelconque de s’attacher un bandeau sur les yeux.

— Ventre de biche ! dit-il, voilà par ma foi des allées de cyprès et trois mille pas d’ombre qui me trottent désagréablement par la tête. Je m’en vais dire la vérité à Nérac, moi qui viens de Paris, à des gens qui ont des allées de trois mille pas et des ombres telles, que les femmes n’y voient point leurs maris se promener avec leurs maîtresses ! Corbiou ! on me déchiquettera ici pour m’apprendre à troubler tant de promenades charmantes. Heureusement, je connais la philosophie du roi, et j’espère en elle. D’ailleurs, je suis ambassadeur ; tête sacrée. Allons !

Et Chicot continua sa course.

Il entra vers le soir à Nérac, justement à l’heure de ces promenades qui préoccupaient si fort le roi de France et son ambassadeur.

Au reste, Chicot put se convaincre de la facilité des mœurs royales, à la façon dont il fut admis à une audience.

Un simple valet de pied lui ouvrit les portes d’un salon rustique dont les abords étaient tout émaillés de fleurs ; au-dessus de ce salon étaient l’antichambre du roi et la chambre qu’il aimait à habiter le jour, pour donner ces audiences sans conséquences dont il était si prodigue.

Un officier, voire même un page, allait le prévenir quand se présentait un visiteur. Cet officier ou ce page courait après le roi jusqu’à ce qu’il le trouvât, en quelque endroit qu’il fût. Le roi venait sur cette seule invitation, et recevait le requérant.

Chicot fut profondément touché de cette facilité toute gracieuse. Il jugea le roi bon, candide et tout amoureux.

Ce fut bien plus encore son opinion, lorsqu’au bout d’une allée sinueuse et bordée de lauriers-roses en fleurs, il vit arriver, avec un mauvais feutre sur la tête, un pourpoint feuille-morte et des bottes grises, le roi de Navarre tout épanoui, un bilboquet à la main.

Henri avait le front uni, comme si aucun souci n’osait