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dans les prairies ces petits chevaux de trois écus qui bondissent infatigables sur leurs jarrets d’acier, font vingt lieues d’une traite, et, jamais étrillés, jamais couverts, se secouent en arrivant au but, et vont brouter dans la première touffe de bruyère venue, leur unique, leur suffisant repas.

— Ventre de biche ! disait Chicot, je n’ai jamais vu la Gascogne si riche. Le Béarnais vit comme un coq en pâte. Puisqu’il est si heureux, il y a toute raison de croire, comme le dit son frère le roi de France, qu’il est… bon ; mais il ne l’avouera peut-être pas, lui. En vérité, quoique traduite en latin, la lettre me gêne encore ; j’ai presque envie de la traduire en grec. Mais, bah ! je n’ai jamais entendu dire que Henriot, comme l’appelait son frère Charles IX, sût le latin. Je lui ferai de ma traduction latine une traduction française expurgata, comme on dit à la Sorbonne.

Et Chicot, tout en faisant ces réflexions tout bas, s’informait tout haut où était le roi.

Le roi était à Nérac. D’abord on l’avait cru à Pau, ce qui avait engagé notre messager à pousser jusqu’à Mont-de-Marsan ; mais, arrivé là, la topographie de la cour avait été rectifiée, et Chicot avait pris à gauche pour rejoindre la route de Nérac, qu’il trouva pleine de gens revenant du marché de Condom.

On lui apprit, Chicot, on se le rappelle, fort circonspect quand il s’agissait de répondre aux questions des autres, Chicot était fort questionneur, on lui apprit, disons-nous, que le roi de Navarre menait fort joyeuse vie, et qu’il ne se reposait point dans ses perpétuelles transitions d’un amour à l’autre.

Chicot avait fait, par les chemins, l’heureuse rencontre d’un jeune prêtre catholique, d’un marchand de moutons et d’un officier, qui se tenaient fort bonne compagnie depuis Mont-de-Marsan, et devisaient, avec force bombances partout où l’on s’arrêtait.