Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sur lequel il se trouve, le caractère de Henri, touchant le sol natal, avait éprouvé quelques nuances.

C’est que Henri avait su mettre assez d’espace entre la griffe royale et cette précieuse peau, qu’il avait si habilement sauvée de tout accroc pour ne plus redouter les atteintes.

Cependant sa politique extérieure était toujours la même ; il s’éteignait dans le bruit général, éteignant avec lui et autour de lui quelques noms illustres que, dans le monde français, on s’étonnait de voir refléter leur clarté sur une pâle couronne de Navarre. Comme à Paris, il faisait cour assidue à sa femme, dont l’influence, à deux cents lieues de Paris, semblait cependant être devenue inutile. Bref, il végétait, heureux de vivre.

Pour le vulgaire, c’était sujet d’hyperboliques railleries.

Pour Chicot, c’était matière à profondes réflexions.

Lui, Chicot, si peu ce qu’il paraissait être, savait naturellement deviner chez les autres le fond sous l’enveloppe. Henri de Navarre, pour Chicot, n’était donc pas encore une énigme devinée, mais c’était une énigme.

Savoir que Henri de Navarre était une énigme et non pas un fait pur et simple, c’était déjà beaucoup savoir. Chicot en savait donc plus que tout le monde, en sachant, comme ce vieux sage de la Grèce, qu’il ne savait rien.

Là où tout le monde se fût avancé le front haut, la parole libre, le cœur sur les lèvres, Chicot sentait donc qu’il fallait aller le cœur serré, la parole composée, le front grimé comme celui d’un acteur.

Cette nécessité de dissimulation lui fut inspirée, d’abord par sa pénétration naturelle, ensuite par l’aspect des lieux qu’il parcourait.

Une fois dans la limite de cette petite principauté de Navarre, pays dont la pauvreté était proverbiale en France, Chicot, à son grand étonnement, cessa de voir imprimée sur chaque visage, sur chaque maison, sur chaque pierre,