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comprends-tu ? Je ne suis pas mal comme je suis, j’ai envie de m’y tenir. Vois-tu, toutes ces progressions arithmétiques, appliquées à la rancune, me paraissent dangereuses ; j’irai donc en Navarre, si tu veux bien m’y envoyer.

— Sans doute, je le veux.

— J’attends tes ordres, gracieux prince.

Et Chicot, prenant la même pose que Joyeuse, attendit.

— Mais, dit le roi, tu ne sais pas si la mission te conviendra.

— Du moment où je te la demande.

— C’est que, vois-tu, Chicot, dit Henri, j’ai certains projets de brouille entre Margot et son mari.

— Diviser pour régner, dit Chicot, il y a déjà cent ans que c’était l’abc de la politique.

— Ainsi tu n’as aucune répugnance ?

— Est-ce que cela me regarde ? répondit Chicot ; tu feras ce que tu voudras, grand prince. Je suis ambassadeur, voilà tout ; tu n’as pas de comptes à me rendre, et pourvu que je sois inviolable… oh ! quant à cela, tu comprends, j’y tiens.

— Mais encore, dit Henri, faut-il que tu saches ce que tu diras à mon beau-frère.

— Moi, dire quelque chose ? non, non, non !

— Comment, non, non, non ?

— J’irai où tu voudras, mais je ne dirai rien du tout. Il y a un proverbe là-dessus : trop gratter…

— Alors, tu refuses donc ?

— Je refuse la parole, mais j’accepte la lettre. Celui qui porte la parole a toujours quelque responsabilité ; celui qui présente une lettre n’est jamais bousculé que de seconde main.

— Eh bien ! soit, je te donnerai une lettre ; cela rentre dans ma politique.

— Vois un peu comme cela se trouve ! donne.

— Comment dis-tu cela ?