Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/173

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Mon ami, dit sérieusement Henri, c’est bien heureux pour ton salut, cette rupture-là.

— Je ne dis pas non, sire ; mais, en attendant, je vais m’ennuyer cruellement pendant huit jours, n’ayant plus rien à faire, ne sachant plus que devenir : aussi m’a-t-il poussé des idées de paresse délicieuses ; c’est amusant de s’ennuyer, vrai… je n’en avais pas l’habitude, et je trouve cela distingué.

— Je crois bien que c’est distingué, dit le roi, j’ai mis la chose à la mode.

— Or, voilà mon plan, sire ; je l’ai fait tout en revenant du parvis Notre-Dame au Louvre. Je me rendrai tous les jours ici en litière ; Votre Majesté dira ses oraisons, moi je lirai des livres d’alchimie ou de marine, ce qui vaudra encore mieux, puisque je suis marin. J’aurai des petits chiens que je ferai jouer avec les vôtres, ou plutôt des petits chats, c’est plus gracieux ; ensuite nous mangerons de la crème, et M. d’Épernon nous fera des contes. Je veux engraisser aussi, moi ; puis, quand la femme de du Bouchage sera de triste devenue gaie, nous en chercherons une autre qui de gaie devienne triste, cela nous changera ; mais tout cela sans bouger, sire : on n’est décidément bien qu’assis, et très-bien que couché. Oh ! les bons coussins, sire ! on voit bien que les tapissiers de Votre Majesté travaillent pour un roi qui s’ennuie.

— Fi donc ! Anne, dit le roi.

— Quoi ! fi donc !

— Un homme de ton âge et de ton rang devenir paresseux et gras ! les laides idées !

— Je ne trouve pas, sire.

— Je veux t’occuper à quelque chose, moi.

— Si c’est ennuyeux, je le veux bien.

Un troisième grognement se fit entendre ; on eût dit que le chien riait des paroles que venait de prononcer Joyeuse.

— Voilà un chien bien intelligent, dit Henri ; il devine ce que je veux te faire faire.