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quoi, il ouvrit le coffre, et dit au général :

— Mon général, j’ai mille excuses à vous faire ; mes façons n’ont pas été dignes d’un homme tel que vous, je le sais bien ; mais j’avais besoin que vous me prissiez pour un patron de barque. Et puis l’Angleterre est un pays fort incommode pour les transports. J’espère donc que vous prendrez tout cela en considération. Mais ici, mon général, continua d’Artagnan, vous êtes libre de vous lever et de marcher.


— Adieu, chevalier, adieu. Aimez-moi comme je vous aime.

Cela dit, il trancha les liens qui attachaient les bras et les mains du général. Celui-ci se leva et s’assit avec la contenance d’un homme qui attend la mort.

D’Artagnan ouvrit alors la porte du cabinet de Charles et lui dit :

— Sire, voici votre ennemi, M. Monck ; je m’étais promis de faire cela pour votre service. C’est fait, ordonnez présentement. Monsieur Monck, ajouta-t-il en se tournant vers le prisonnier, vous êtes devant Sa Majesté le roi Charles II, souverain seigneur de la Grande-Bretagne.

Monck leva sur le jeune prince son regard froidement stoïque, et répondit :

— Je ne connais aucun roi de la Grande-Bretagne ; je ne connais même ici personne qui soit digne de porter le nom de gentilhomme ; car c’est au nom du roi Charles II qu’un émissaire, que j’ai pris pour un honnête homme, m’est venu tendre un piège infâme. Je suis tombé dans ce piège, tant pis pour moi. Maintenant, vous, le tentateur, dit-il au roi ; vous l’exécuteur, dit-il à d’Artagnan, rappelez-vous de ce que je vais vous dire : vous avez mon corps, vous pouvez le tuer, je vous y engage, car vous n’aurez jamais mon âme ni ma volonté. Et maintenant ne me demandez pas une seule parole, car à partir de ce moment, je n’ouvrirai plus même la bouche pour crier. J’ai dit.