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sin germain, au compagnon de mon enfance ! là s’arrête votre pouvoir, là commence ma volonté.

— Sire, dit Mazarin, enchanté d’en être quitte à si bon marché, et qui n’avait d’ailleurs si chaudement combattu que pour en arriver là ; sire, je me courberai toujours devant la volonté de mon roi ; que mon roi garde donc près de lui ou dans un de ses châteaux le roi d’Angleterre, que Mazarin le sache, mais que le ministre ne le sache pas.

— Bonne nuit, Monsieur, dit Louis XIV, je m’en vais désespéré.

— Mais convaincu, c’est tout ce qu’il me faut, sire, répliqua Mazarin.

Le roi ne répondit pas, et se retira tout pensif, convaincu, non pas de tout ce que lui avait dit Mazarin, mais d’une chose au contraire qu’il s’était bien gardé de lui dire, c’était de la nécessité d’étudier sérieusement ses affaires et celles de l’Europe, car il les voyait difficiles et obscures.

Louis retrouva le roi d’Angleterre assis à la même place où il l’avait laissé.

En l’apercevant, le prince anglais se leva ; mais du premier coup d’œil il vit le découragement écrit en lettres sombres sur le front de son cousin.

Alors, prenant la parole le premier, comme pour faciliter à Louis l’aveu pénible qu’il avait à lui faire :

— Quoi qu’il en soit, dit-il, je n’oublierai jamais toute la bonté, toute l’amitié dont vous avez fait preuve à mon égard.

— Hélas ! répliqua sourdement Louis XIV, bonne volonté stérile, mon frère !

Charles II devint extrêmement pâle, passa une main froide sur son front, et lutta quelques instants contre un éblouissement qui le fit chanceler.

— Je comprends, dit-il enfin, plus d’espoir !

Louis saisit la main de Charles II.

— Attendez, mon frère, dit-il, ne précipitez rien, tout peut changer ; ce sont les résolutions extrêmes qui ruinent les causes ; ajoutez, je vous en supplie, une année d’épreuve encore aux années que vous avez déjà subies. Il n’y a, pour vous décider à agir en ce moment plutôt qu’en un autre, ni occasion ni opportunité ; venez avec moi, mon frère, je vous donnerai une de mes résidences, celle qu’il vous plaira d’habiter ; j’aurai l’œil avec vous sur les événements, nous les préparerons ensemble ; allons, mon frère, du courage !

Charles II dégagea sa main de celle du roi, et se reculant pour le saluer avec plus de cérémonie :

— De tout mon cœur, merci, répliqua-t-il, sire, mais j’ai prié sans résultat le plus grand roi de la terre, maintenant je vais demander un miracle à Dieu.

Et il sortit sans vouloir en entendre davantage, le front haut, la main frémissante, avec une contraction douloureuse de son noble visage, et cette sombre profondeur du regard qui, ne trouvant plus d’espoir dans le monde des hommes, semble aller au-delà en demander à des mondes inconnus.

L’officier des mousquetaires, en le voyant ainsi passer livide, s’inclina presque à genoux pour le saluer.

Il prit ensuite un flambeau, appela deux mousquetaires et descendit avec le malheureux roi l’escalier désert, tenant à la main gauche son chapeau, dont la plume balayait les degrés.

Arrivé à la porte, l’officier demanda au roi de quel côté il se dirigeait, afin d’y envoyer les mousquetaires.

— Monsieur, répondit Charles II à demi-voix, vous qui avez connu mon père, dites-vous, peut-être avez-vous prié pour lui ? Si cela est ainsi, ne m’oubliez pas non plus dans vos prières. Maintenant je m’en vais seul, et vous prie de ne point m’accompagner ni de me faire accompagner plus loin.

L’officier s’inclina et renvoya ses mousquetaires dans l’intérieur du palais.

Mais lui demeura un instant sous le porche pour voir Charles II s’éloigner et se perdre dans l’ombre de la rue tournante.

— À celui-là, comme autrefois à son père, murmura-t-il, Athos, s’il était là, dirait avec raison :

— Salut à la Majesté tombée !

Puis, montant les escaliers :

— Ah ! le vilain service que je fais ! dit-il à chaque marche. Ah ! le piteux maître ! La vie ainsi faite n’est plus tolérable, et il est temps enfin que je prenne mon parti !… Plus de générosité, plus d’énergie ! continua-t-il. Allons, le maître a réussi, l’élève est atrophié pour toujours. Mordioux ! je n’y résisterai pas. Allons, vous autres, continua-t-il en entrant dans l’antichambre, que faites-vous là à me regarder ainsi ? Éteignez ces flambeaux et rentrez à vos postes ! Ah ! vous me gardiez ? Oui, vous veillez sur moi, n’est-ce pas, bonnes gens ? Braves niais ! je ne suis pas le duc de Guise, allez, et l’on ne m’assassinera pas dans le petit couloir. D’ailleurs, ajouta-t-il tout bas, ce serait une résolution, et l’on ne prend plus de résolutions depuis que M. le cardinal de Richelieu est mort. Ah ! à la bonne heure, c’était un homme, celui-là ! C’est décidé, dès demain je jette la casaque aux orties !

Puis, se ravisant :

— Non, dit-il, pas encore ! J’ai une superbe épreuve à faire, et je la ferai ; mais celle-là, je le jure, ce sera la dernière, mordioux !

Il n’avait pas achevé, qu’une voix partit de la chambre du roi.

— Monsieur le lieutenant ! dit cette voix.

— Me voici, répondit-il.

— Le roi demande à vous parler.

— Allons, dit le lieutenant, peut-être est-ce pour ce que je pense.

Et il entra chez le roi.

XII

LE ROI ET LE LIEUTENANT.


Lorsque le roi vit l’officier près de lui, il congédia son valet de chambre et son gentilhomme.

— Qui est de service demain, Monsieur ? demanda-t-il alors.