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à gauche et rentra au château par la petite cour. Eux tirèrent à droite et continuèrent leur chemin vers le grand parc.

Au moment où le chevalier montait le petit escalier qui conduisait à l’entrée dérobée, il vit une femme, suivie d’une autre femme, apparaître sous l’arcade qui donnait passage de la petite dans la grande cour.

Ces deux femmes accéléraient leur marche que le froissement de leurs robes de soie trahissait dans la nuit déjà sombre.

Cette forme de mantelet, cette taille élégante, cette allure mystérieuse et hautaine à la fois qui distinguaient ces deux femmes, et surtout celle qui marchait la première, frappèrent le chevalier.

— Voilà deux femmes que je connais certainement, se dit-il en s’arrêtant sur la dernière marche du petit perron.

Puis, comme avec son instinct de limier il s’apprêtait à les suivre, un de ses laquais, qui courait après lui depuis quelques instants, l’arrêta.

— Monsieur, dit-il, le courrier est arrivé.

— Bon ! bon ! fit le chevalier. Nous avons le temps, à demain.

— C’est qu’il y a des lettres pressées que Monsieur le chevalier sera peut être bien aise de lire.

— Ah ! fit le chevalier ; et d’où viennent-elles ?

— Une vient d’Angleterre, et l’autre de Calais ; cette dernière arrive par estafette, et paraît être fort importante.

— De Calais ! Et qui diable m’écrit de Calais ?

— J’ai cru reconnaître l’écriture de votre ami M. le comte de Wardes.

— Oh ! je monte en ce cas, s’écria le chevalier oubliant à l’instant même son projet d’espionnage.

Et il monta, en effet, tandis que les deux dames inconnues disparaissaient à l’extrémité de la cour opposée à celle par laquelle elles venaient d’entrer.

Ce sont elles que nous suivrons, laissant le chevalier tout entier à sa correspondance.

Arrivée au quinconce, la première s’arrêta un peu essoufflée, et, relevant avec précaution sa coiffe :

— Sommes-nous encore loin de cet arbre ? dit-elle.

— Oh ! oui, Madame, à plus de cinq cents pas ; mais que Madame s’arrête un instant : elle ne pourrait marcher longtemps de ce pas.

— Vous avez raison.

Et la princesse, car c’était elle, s’appuya contre un arbre.

— Voyons, Mademoiselle, reprit-elle après avoir soufflé un instant, ne me cachez rien, dites-moi la vérité.

— Oh ! Madame, vous voilà déjà sévère, dit la jeune fille d’une voix émue.

— Non, ma chère Athénaïs ; rassurez-vous donc, car je ne vous en veux nullement. Ce ne sont point mes affaires, après tout. Vous êtes inquiète de ce que vous avez pu dire sous ce chêne ; vous craignez d’avoir blessé le roi, et je veux vous tranquilliser en m’assurant par moi-même si vous pouvez avoir été entendue.

— Oh ! oui, Madame, le roi était si près de nous.

— Mais, enfin, vous ne parliez pas tellement haut que quelques paroles n’aient pu se perdre ?

— Madame, nous nous croyions absolument seules.

— Et vous étiez trois ?

— Oui, La Vallière, Montalais et moi.

— De sorte que vous avez, vous personnellement, parlé légèrement du roi ?

— J’en ai peur. Mais, en ce cas, Votre Altesse aurait la bonté de faire ma paix avec Sa Majesté, n’est-ce pas, Madame ?

— Si besoin est, je vous le promets. Cependant, comme je vous le disais, mieux vaut ne pas aller au-devant du mal et se bien assurer surtout si le mal a été fait. Il fait nuit sombre, et plus sombre encore sous ces grands bois. Vous n’aurez pas été reconnue du roi. Le prévenir en parlant la première, c’est vous dénoncer vous-même.

— Oh ! Madame ! Madame ! si l’on a reconnu mademoiselle de La Vallière, on m’aura reconnue aussi. D’ailleurs, M. de Saint-Aignan ne m’a point laissé de doute à ce sujet.

— Mais, enfin, vous disiez donc des choses bien désobligeantes pour le roi ?

— Nullement, Madame, nullement. C’est une autre qui disait des choses trop obligeantes, et alors mes paroles auront fait contraste avec les siennes.

— Cette Montalais est si folle ! dit Madame.

— Oh ! ce n’est pas Montalais. Montalais n’a rien dit, elle, c’est La Vallière.

Madame tressaillit comme si elle ne l’eût pas déjà su parfaitement.

— Oh ! non, non, dit-elle, le roi n’aura pas entendu. D’ailleurs, nous allons faire l’épreuve pour laquelle nous sommes sorties. Montrez-moi le chêne.

Et Madame se remit en marche.

— Savez-vous où il est ? continua-t-elle.

— Hélas ! oui Madame.

— Et vous le retrouverez ?

— Je le retrouverais les yeux fermés.

— Alors c’est à merveille ; vous vous assiérez sur le banc où vous étiez, sur le banc où était La Vallière, et vous parlerez du même ton et dans le même sens ; moi, je me cacherai dans le buisson, et, si l’on entend, je vous le dirai bien.

— Oui, Madame.

— Il s’ensuit que, si vous avez effectivement parlé assez haut pour que le roi vous ait entendues, eh bien…

Athénaïs parut attendre avec anxiété la fin de la phrase commencée.

— Eh bien, dit Madame d’une voix étouffée sans doute par la rapidité de sa course, eh bien, je vous défendrai…

Et Madame doubla encore le pas.

Tout à coup elle s’arrêta.

— Il me vient une idée, dit-elle.

— Oh ! une bonne idée, assurément, répondit mademoiselle de Tonnay-Charente.