Page:Dumas - Le Vicomte de Bragelonne, 1876.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roi la salle dans laquelle on avait conduit La Vallière, le roi était entré.

Saint-Aignan le suivit.

Dans une salle basse, auprès d’une grande fenêtre donnant sur les parterres, La Vallière, placée dans un vaste fauteuil, aspirait à longs traits l’air embaumé de la nuit.

De sa poitrine desserrée, les dentelles tombaient froissées parmi les boucles de ses beaux cheveux blonds épars sur ses épaules.

L’œil languissant, chargé de feux mal éteints, noyé dans de grosses larmes, elle ne vivait plus que comme ces belles visions de nos rêves qui passent toutes pâles et toutes poétiques devant les yeux fermés du dormeur, entr’ouvrant leurs ailes sans les mouvoir, leurs lèvres sans faire entendre un son.

Cette pâleur nacrée de La Vallière avait un charme que rien ne saurait rendre ; la souffrance d’esprit et du corps avait fait à cette douce physionomie une harmonie de noble douleur ; l’inertie absolue de ses bras et de son buste la rendait plus semblable à une trépassée qu’à un être vivant ; elle semblait n’entendre ni les chuchotements de ses compagnes ni le bruit lointain qui montait des environs. Elle s’entretenait avec elle-même, et ses belles mains longues et fines tressaillaient de temps en temps comme au contact d’invisibles pressions. Le roi entra sans qu’elle s’aperçût de son arrivée, tant elle était absorbée dans sa rêverie.

Il vit de loin cette figure adorable sur laquelle la lune ardente versait la pure lumière de sa lampe d’argent.

— Mon Dieu ! s’écria-t-il avec un involontaire effroi, elle est morte !

— Non, non, sire, dit tout bas Montalais, elle va mieux, au contraire. N’est ce pas, Louise, que tu vas mieux ?

La Vallière ne répondit point.

— Louise, continua Montalais, c’est le roi qui daigne s’inquiéter de ta santé.

— Le roi ! s’écria Louise en se redressant soudain, comme si une source de flamme eût remonté des extrémités à son cœur ; le roi s’inquiète de ma santé ?

— Oui, dit Montalais.

— Le roi est donc ici ? dit La Vallière sans oser regarder autour d’elle.

— Cette voix ! cette voix ! dit vivement Louis à l’oreille de Saint-Aignan.

— Eh ! mais, répliqua Saint-Aignan, Votre Majesté a raison, c’est l’amoureuse du soleil.

— Chut ! dit le roi.

Puis, s’approchant de La Vallière :

— Vous êtes indisposée, mademoiselle ? Tout à l’heure, dans le parc, je vous ai même vue évanouie. Comment cela vous a-t-il pris ?

— Sire, balbutia la pauvre enfant tremblante et sans couleur, en vérité, je ne saurais le dire.

— Vous avez trop marché, dit le roi, et peut-être la fatigue…

— Non, sire, répliqua vivement Montalais répondant pour son amie, ce ne peut être la fatigue, car nous avons passé une partie de la soirée assises sous le chêne royal.

— Sous le chêne royal ? reprit le roi en tressaillant. Je ne m’étais pas trompé, et c’est bien cela.

Et il adressa au comte un coup d’œil d’intelligence.

— Ah ! oui, dit Saint-Aignan, sous le chêne royal, avec mademoiselle de Tonnay-Charente.

— Comment savez-vous cela ? demanda Montalais.

— Mais je le sais d’une façon bien simple ; mademoiselle de Tonnay-Charente me l’a dit.

— Alors elle a dû vous apprendre aussi la cause de l’évanouissement de La Vallière ?

— Dame ! elle m’a parlé d’un loup ou d’un voleur, je ne sais plus trop.

La Vallière écoutait les yeux fixes, la poitrine haletante comme si elle eût pressenti une partie de la vérité, grâce à un redoublement d’intelligence. Louis prit cette attitude et cette agitation pour la suite d’un effroi mal éteint.

— Ne craignez rien, mademoiselle, dit-il avec un commencement d’émotion qu’il ne pouvait cacher ; ce loup qui vous a fait si grand’peur était tout simplement un loup à deux pieds.

— C’était un homme ! c’était un homme ! s’écria Louise ; il y avait là un homme aux écoutes ?

— Eh bien, Mademoiselle, quel grand mal voyez-vous donc à avoir été écoutée ? Auriez-vous dit, selon vous, des choses qui ne pouvaient être entendues ?

La Vallière frappa ses deux mains l’une contre l’autre et les porta vivement à son front dont elle essaya de cacher ainsi la rougeur.

— Oh ! demanda-t-elle, au nom du ciel, qui donc était caché ? qui donc a entendu ?

Le roi s’avança pour prendre une de ses mains.

— C’était moi, Mademoiselle, dit-il en s’inclinant avec un doux respect ; vous ferais-je peur, par hasard ?

La Vallière poussa un grand cri ; pour la seconde fois, ses forces l’abandonnèrent, et froide, gémissante, désespérée, elle retomba tout d’une pièce dans son fauteuil.

Le roi eut le temps d’étendre le bras, de sorte qu’elle se trouva à moitié soutenue par lui.

À deux pas du roi et de La Vallière, mesdemoiselles de Tonnay-Charente et de Montalais, immobiles et comme pétrifiées au souvenir de leur conversation avec La Vallière, ne songeaient même pas à lui porter secours, retenues qu’elles étaient par la présence du roi, qui, un genou en terre, tenait La Vallière à bras-le-corps.

— Vous avez entendu, sire ? murmura Athénaïs.

Mais le roi ne répondit pas ; il avait les yeux fixés sur les yeux à moitié fermés de La Vallière ; il tenait sa main pendante dans sa main.

— Parbleu ! répliqua Saint-Aignan, qui espérait de son côté l’évanouissement de mademoiselle de Tonnay-Charente, et qui s’avançait les bras ouverts, nous n’en avons même pas perdu un mot.

Mais la fière Athénaïs n’était pas femme à s’évanouir ainsi ; elle lança un regard terrible à Saint-Aignan et s’enfuit.

Montalais, plus courageuse, s’avança vivement vers Louise et la reçut des mains du roi, qui