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cher de Madame et d’avoir à lui parler sous un prétexte spécieux.

Heureusement, un carrosse passait ; on fit arrêter le cocher, et les personnes qui le montaient, ayant appris l’accident, s’empressèrent de céder la place à mademoiselle de La Vallière.

Le courant d’air provoqué par la rapidité de la course rappela promptement la malade à l’existence.

Arrivée au château, elle put, quoique très-faible, descendre du carrosse, et gagner, avec l’aide d’Athénaïs et de Montalais, l’intérieur des appartements.

On la fit asseoir dans une chambre attenante aux salons du rez-de-chaussée.

Ensuite, comme cet accident n’avait pas produit beaucoup d’effet sur les promeneurs, la promenade fut reprise.

Pendant ce temps, le roi avait retrouvé Madame sous un quinconce ; il s’était assis près d’elle, et son pied cherchait doucement celui de la princesse sous la chaise de celle-ci.

— Prenez garde, sire, lui dit Henriette tout bas, vous ne paraissez pas indifférent.

— Hélas ! répondit Louis XIV sur le même diapason, j’ai bien peur que nous n’ayons fait une convention au-dessus de nos forces.

Puis, tout haut :

— Savez-vous l’accident ? dit-il.

— Quel accident ?

— Oh ! mon Dieu ! en vous voyant, j’oubliais que j’étais venu tout exprès pour vous le raconter. J’en suis pourtant affecté douloureusement ; une de vos demoiselles d’honneur, la pauvre La Vallière, vient de perdre connaissance.

— Ah ! pauvre enfant, dit tranquillement la princesse ; et à quel propos ?

Puis, tout bas :

— Mais vous n’y pensez pas, sire, vous prétendez faire croire à une passion pour cette fille, et vous demeurez ici quand elle se meurt là-bas.

— Ah ! Madame, Madame, dit en soupirant le roi, que vous êtes bien mieux que moi dans votre rôle, et comme vous pensez à tout !

Et il se leva.

— Madame, dit-il assez haut pour que tout le monde l’entendît, permettez que je vous quitte ; mon inquiétude est grande, et je veux m’assurer par moi-même si les soins ont été donnés convenablement.

Et le roi partit pour se rendre de nouveau près de La Vallière, tandis que tous les assistants commentaient ce mot du roi : « Mon inquiétude est grande. »


CXVII

LE SECRET DU ROI


En chemin, Louis rencontra le comte de Saint-Aignan.

— Eh bien, Saint-Aignan, demanda-t-il avec affectation, comment se trouve la malade ?

— Mais, sire, balbutia Saint-Aignan, j’avoue à ma honte que je l’ignore.

— Comment, vous l’ignorez ? fit le roi feignant de prendre au sérieux ce manque d’égards pour l’objet de sa prédilection.

— Sire, pardonnez-moi, mais je venais de rencontrer une de nos trois causeuses, et j’avoue que cela m’a distrait.

— Ah ! vous avez trouvé ? dit vivement le roi.

— Celle qui daignait parler si avantageusement de moi, et, ayant trouvé la mienne, je cherchais la vôtre, sire, lorsque j’ai eu le bonheur de rencontrer Votre Majesté.

— C’est bien ; mais, avant tout, mademoiselle de La Vallière, dit le roi, fidèle à son rôle.

— Oh ! que voilà une belle intéressante, dit Saint-Aignan, et comme son évanouissement était de luxe, puisque Votre Majesté s’occupait d’elle avant cela.

— Et le nom de votre belle, à vous, Saint-Aignan, est-ce un secret ?

— Sire, ce devrait être un secret, et un très grand même ; mais pour vous, Votre Majesté sait bien qu’il n’existe pas de secrets.

— Son nom alors ?

— C’est mademoiselle de Tonnay-Charente.

— Elle est belle ?

— Par-dessus tout, oui, sire, et j’ai reconnu la voix qui disait si tendrement mon nom. Alors je l’ai abordée, questionnée autant que j’ai pu le faire au milieu de la foule, et elle m’a dit, sans se douter de rien, que tout à l’heure elle était au grand chêne avec deux amies, lorsque l’apparition d’un loup ou d’un voleur les avait épouvantées et mises en fuite.

— Mais, demanda vivement le roi, le nom de ses deux amies ?

— Sire, dit Saint-Aignan, que Votre Majesté me fasse mettre à la Bastille.

— Pourquoi cela ?

— Parce que je suis un égoïste et un sot. Ma surprise était si grande d’une pareille conquête et d’une si heureuse découverte, que j’en suis resté là. D’ailleurs, je n’ai pas cru que, préoccupée comme elle l’était de mademoiselle de La Vallière, Votre Majesté attachât une très-grande importance à ce qu’elle avait entendu ; puis mademoiselle de Tonnay-Charente m’a quitté précipitamment pour retourner près de mademoiselle de La Vallière.

— Allons, espérons que j’aurai une chance égale à la tienne. Viens, Saint-Aignan.

— Mon roi a de l’ambition, à ce que je vois, et il ne veut permettre à aucune conquête de lui échapper. Eh bien, je lui promets que je vais chercher consciencieusement, et, d’ailleurs, par l’une des trois Grâces, on saura le nom des autres, et, par le nom, le secret.

— Oh ! moi aussi, dit le roi ; je n’ai besoin que d’entendre sa voix pour la reconnaître. Allons, brisons là-dessus et conduis-moi près de cette pauvre La Vallière.

— Eh ! mais, pensa Saint-Aignan, voilà en vérité une passion qui se dessine, et pour cette petite fille, c’est extraordinaire ; je ne l’eusse jamais cru.

Et comme, en pensant cela, il avait montré au