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j’osais donner un conseil à Votre Majesté, nous devrions les poursuivre.

— Elles sont loin.

— Bah ! elles se laisseraient facilement rejoindre, surtout si elles savent quels sont ceux qui les poursuivent.

— Comment cela, monsieur le fat ?

— Dame ! il y en a une qui me trouve de son goût, et l’autre qui vous a comparé au soleil.

— Raison de plus pour que nous demeurions cachés, Saint-Aignan. Le soleil ne se montre pas la nuit.

— Par ma foi ! sire, Votre Majesté n’est pas curieuse. À sa place, moi, je voudrais connaître quelles sont les deux nymphes, les deux dryades, les deux hamadryades qui ont si bonne opinion de nous.

— Oh ! je les reconnaîtrai bien sans courir après elles, je t’en réponds.

— Et comment cela ?

— Parbleu ! à la voix. Elles sont de la cour ; et celle qui parlait de moi avait une voix charmante.

— Ah ! voilà Votre Majesté qui se laisse influencer par la flatterie.

— On ne dira pas que c’est le moyen que tu emploies, toi.

— Oh ! pardon, sire, je suis un niais.

— Voyons, viens, et cherchons où je t’ai dit.

— Et cette passion dont vous m’aviez fait confidence, sire, est-elle donc déjà oubliée ?

— Oh ! par exemple, non. Comment veux-tu qu’on oublie des yeux comme ceux de mademoiselle de La Vallière ?

— Oh ! l’autre a une si charmante voix !

— Laquelle ?

— Celle qui aime le soleil.

— Monsieur de Saint-Aignan !

— Pardon, sire.

— D’ailleurs, je ne suis pas fâché que tu croies que j’aime autant les douces voix que les beaux yeux. Je te connais, tu es un affreux bavard, et demain je payerai la confiance que j’ai eue en toi.

— Comment cela ?

— Je dis que demain tout le monde saura que j’ai des idées sur cette petite La Vallière ; mais, prends garde, Saint-Aignan, je n’ai confié mon secret qu’à toi, et, si une seule personne m’en parle, je saurai qui a trahi mon secret.

— Oh ! quelle chaleur, sire !

— Non, mais, tu comprends, je ne veux pas compromettre cette pauvre fille.

— Sire, ne craignez rien.

— Tu me promets ?

— Sire, je vous engage ma parole.

— Bon ! pensa le roi riant en lui-même, tout le monde saura demain que j’ai couru cette nuit après La Vallière.

Puis, essayant de s’orienter :

— Ah ça ! mais nous sommes perdus, dit-il.

— Oh ! pas bien dangereusement.

— Où va-t-on par cette porte ?

— Au Rond-Point, sire.

— Où nous nous rendions quand nous avons entendu des voix de femmes ?

— Oui, sire, et cette fin de conversation où j’ai eu l’honneur d’entendre prononcer mon nom à côté du nom de Votre Majesté.

— Tu reviens bien souvent là-dessus, Saint-Aignan.

— Que Votre Majesté me pardonne, mais je suis enchanté de savoir qu’il y a une femme occupée de moi, sans que je le sache et sans que j’aie rien fait pour cela. Votre Majesté ne comprend pas cette satisfaction, elle dont le rang et le mérite attirent l’attention et forcent l’amour.

— Eh bien, non, Saint-Aignan, tu me croiras si tu veux, dit le roi en s’appuyant familièrement sur le bras de Saint-Aignan, et prenant le chemin qu’il croyait devoir le conduire du côté du château, mais cette naïve confidence, cette préférence toute désintéressée d’une femme qui peut-être n’attirera jamais mes yeux… en un mot, le mystère de cette aventure me pique, et, en vérité, si je n’étais pas si occupé de La Vallière…

— Oh ! que cela n’arrête point Votre Majesté, elle a du temps devant elle.

— Comment cela ?

— On dit La Vallière fort rigoureuse.

— Tu me piques, Saint-Aignan, il me tarde de la retrouver. Allons, allons.

Le roi mentait, rien au contraire ne lui tardait moins ; mais il avait un rôle à jouer.

Et il se mit à marcher vivement. Saint-Aignan le suivit en conservant une légère distance.

Tout à coup, le roi s’arrêtant, le courtisan imita son exemple.

— Saint-Aignan, dit-il, n’entends-tu pas des soupirs ?

— Moi ?

— Oui, écoute.

— En effet, et même des cris, ce me semble.

— C’est de ce côté, dit le roi en indiquant une direction.

— On dirait des larmes, des sanglots de femme, fit M. de Saint-Aignan.

— Courons !

Et le roi et le favori, prenant un petit chemin de traverse, coururent dans l’herbe.

À mesure qu’ils avançaient, les cris devenaient plus distincts.

— Au secours ! au secours ! disaient deux voix.

Les deux jeunes gens redoublèrent de vitesse.

Au fur et à mesure qu’ils approchaient, les soupirs devenaient des cris.

— Au secours ! au secours ! répétait-on.

Et ces cris doublaient la rapidité de la course du roi et de son compagnon.

Tout à coup, au revers d’un fossé, sous des saules aux branches échevelées, ils aperçurent une femme à genoux tenant une autre femme évanouie.

À quelques pas de là, une troisième appelait au secours au milieu du chemin.

En apercevant les deux gentilshommes dont elle ignorait la qualité, les cris de la femme qui appelait au secours redoublèrent.

Le roi devança son compagnon, franchit le fossé, et se trouva auprès du groupe au moment où, par l’extrémité de l’allée qui donnait du côté du château, s’avançaient une douzaine de