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— Oui.

— Moi, dit mademoiselle de Tonnay-Charente, je pense beaucoup aussi ; mais prenez garde…

— Elle ne dit rien, fit Montalais, de sorte que ce que pense mademoiselle de Tonnay-Charente, Athénaïs seule le sait.

— Chut ! s’écria mademoiselle de La Vallière, j’entends des pas qui viennent de ce côté.

— Eh ! vite ! vite ! dans les roseaux, dit Montalais ; baissez-vous, Athénaïs, vous qui êtes si grande.

Mademoiselle de Tonnay-Charente se baissa effectivement.

Presque aussitôt on vit, en effet, deux gentilshommes s’avancer, la tête inclinée, les bras entrelacés, et marchant sur le sable fin de l’allée parallèle au rivage.

Les femmes se firent petites, imperceptibles.

— C’est M. de Guiche, dit Montalais à l’oreille de mademoiselle de Tonnay-Charente.

— C’est M. de Bragelonne, dit celle-ci à l’oreille de La Vallière.

Les deux jeunes gens continuaient de s’approcher en causant d’une voix animée.

— C’est par ici qu’elle était tout à l’heure, dit le comte. Si je n’avais fait que la voir, je dirais que c’est une apparition ; mais je lui ai parlé.

— Ainsi, vous êtes sûr ?

— Oui ; mais peut-être aussi lui ai-je fait peur.

— Comment cela ?

— Eh ! mon Dieu ! j’étais encore fou de ce que vous savez, de sorte qu’elle n’aura rien compris à mes discours et aura pris peur.

— Oh ! dit Bragelonne, ne vous inquiétez pas, mon ami. Elle est bonne, elle excusera ; elle a de l’esprit, elle comprendra.

— Oui ; mais, si elle a compris, trop bien compris.

— Après ?

— Et qu’elle parle.

— Oh ! vous ne connaissez pas Louise, comte, dit Raoul. Louise a toutes les vertus, et n’a pas un seul défaut.

Et les jeunes gens passèrent là-dessus, et, comme ils s’éloignaient, leurs voix se perdirent peu à peu.

— Comment ! La Vallière, dit mademoiselle de Tonnay-Charente, M. le vicomte de Bragelonne a dit Louise en parlant de vous. Comment cela se fait-il ?

— Nous avons été élevés ensemble, répondit mademoiselle de La Vallière ; tout enfants, nous nous connaissions.

— Et puis M. de Bragelonne est ton fiancé, chacun sait cela.

— Oh ! je ne le savais pas, moi. Est-ce vrai, Mademoiselle ?

— C’est-à-dire, répondit Louise en rougissant, c’est-à-dire que M. de Bragelonne m’a fait l’honneur de me demander ma main… mais…

— Mais quoi ?

— Mais il paraît que le roi…

— Eh bien ?

— Que le roi ne veut pas consentir à ce mariage.

— Eh ! pourquoi le roi ? et qu’est-ce que le roi ? s’écria Aure avec aigreur. Le roi a-t-il donc le droit de se mêler de ces choses-là, bon Dieu ?… « La poulitique est la poulitique, comme disait M. de Mazarin ; ma l’amor, il est l’amor. » Si donc tu aimes M. de Bragelonne, et, s’il t’aime, épousez-vous. Je vous donne mon consentement, moi.

Athénaïs se mit à rire.

— Oh ! je parle sérieusement, répondit Montalais, et mon avis en ce cas vaut bien l’avis du roi, je suppose. N’est-ce pas, Louise ?

— Voyons, voyons, ces messieurs sont passés, dit La Vallière ; profitons donc de la solitude pour traverser la prairie et nous jeter dans le bois.

— D’autant mieux, dit Athénaïs, que voilà des lumières qui partent du château et du théâtre, et qui me font l’effet de précéder quelque illustre compagnie.

— Courons, dirent-elles toutes trois.

Et relevant gracieusement les longs plis de leurs robes de soie, elles franchirent lestement l’espace qui s’étendait entre l’étang et la partie la plus ombragée du parc.

Montalais, légère comme une biche ; Athénaïs, ardente comme une jeune louve, bondissaient dans l’herbe sèche, et parfois un Actéon téméraire eût pu apercevoir dans la pénombre leur jambe pure et hardie se dessinant sous l’épais contour des jupes de satin.

La Vallière, plus délicate et plus pudique, laissa flotter ses robes ; retardée ainsi par la faiblesse de son pied, elle ne tarda point à demander sa grâce.

Et, demeurée en arrière, elle força ses deux compagnes à l’attendre.

En ce moment, un homme, caché dans un fossé plein de jeunes pousses de saules, remonta vivement sur le talus de ce fossé et se mit à courir dans la direction du château.

Les trois femmes, de leur côté, atteignirent les lisières du parc, dont toutes les allées leur étaient connues.

De grandes allées fleuries s’élevaient autour des fossés ; des barrières fermées protégeaient de ce côté les promeneurs contre l’envahissement des chevaux et des calèches.

En effet, on entendait rouler dans le lointain, sur le sol ferme des chemins, les carrosses des reines et de Madame. Plusieurs cavaliers les suivaient avec le bruit si bien imité par les vers cadencés de Virgile.

Quelques musiques lointaines répondaient au bruit, et, quand les harmonies cessaient, le rossignol, chanteur plein d’orgueil, envoyait à la compagnie qu’il sentait rassemblée sous les ombrages, les chants les plus compliqués, les plus suaves et les plus savants.

Autour du chanteur, brillaient, dans le fond noir des gros arbres, les yeux de quelque chat-huant sensible à l’harmonie.

De sorte que cette fête de toute la cour était aussi la fête des hôtes mystérieux des bois ; car assurément la biche écoutait dans sa fougère, le faisan sur sa branche, le renard dans son terrier.

On devinait la vie de toute cette population nocturne et invisible, aux brusques mouvements qui s’opéraient tout à coup dans les feuilles.

Alors les nymphes des bois poussaient un