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Il entra jusque dans l’oratoire d’Anne d’Autriche.

De l’oratoire, à travers une tapisserie entrouverte, il aperçut sa jeune belle-sœur agenouillée devant la reine mère et qui paraissait tout en larmes.

Il n’avait été vu ni entendu.

Il s’approcha doucement de l’ouverture et écouta : le spectacle de cette douleur piquait sa curiosité.

Non-seulement la jeune reine pleurait, mais encore elle se plaignait.

— Oui, disait-elle, le roi me néglige, le roi ne s’occupe plus que de plaisirs, et de plaisirs auxquels je ne participe point.

— Patience, patience, ma fille, répliquait Anne d’Autriche en espagnol.

Puis, en espagnol encore, elle ajoutait des conseils que Monsieur ne comprenait pas.

La reine y répondait par des accusations mêlées de soupirs et de larmes, parmi lesquelles Monsieur distinguait souvent le mot banos que Marie-Thérèse accentuait avec le dépit de la colère.

— Les bains, se disait Monsieur, les bains. Il paraît que c’est aux bains qu’elle en a.

Et il cherchait à recoudre les parcelles de phrases qu’il comprenait à la suite les unes des autres.

Toutefois, il était aisé de deviner que la reine se plaignait amèrement, et que, si Anne d’Autriche ne la consolait point, elle essayait au moins de la consoler.

Monsieur craignait d’être surpris écoutant à la porte, il prit le parti de tousser.

Les deux reines se retournèrent au bruit.

Monsieur entra.

À la vue du prince, la jeune reine se releva précipitamment, et essuya ses yeux.

Monsieur savait trop bien son monde pour questionner, et savait trop bien la politesse pour rester muet ; il salua donc.

La reine mère lui sourit agréablement.

— Que voulez-vous, mon fils ? dit-elle.

— Moi ?… Rien… balbutia Monsieur ; je cherchais…

— Qui ?

— Ma mère, je cherchais Madame.

— Madame est aux bains.

— Et le roi ? dit Monsieur d’un ton qui fit trembler la reine.

— Le roi aussi, toute la cour aussi, répliqua Anne d’Autriche.

— Alors vous, Madame ? dit Monsieur.

— Oh ! moi, fit la jeune reine, je suis l’effroi de tous ceux qui se divertissent.

— Et moi aussi, à ce qu’il paraît, reprit Monsieur.

Anne d’Autriche fit un signe muet à sa bru, qui se retira en fondant en larmes.

Monsieur fronça le sourcil.

— Voilà une triste maison, dit-il. Qu’en pensez-vous, ma mère ?

— Mais… non… non… tout le monde ici cherche son plaisir.

— C’est pardieu bien ce qui attriste ceux que ce plaisir gêne.

— Comme vous dites cela, mon cher Philippe !

— Ma foi ! ma mère, je le dis comme je le pense.

— Expliquez-vous ; qu’y a-t-il ?

— Mais demandez à ma belle-sœur, qui tout à l’heure vous contait ses peines.

— Ses peines… quoi ?…

— Oui, j’écoutais ; par hasard, je l’avoue, mais enfin j’écoutais… Eh bien ! j’ai trop entendu ma sœur se plaindre des fameux bains de Madame.

— Ah ! folie…

— Non, non, non, lorsqu’on pleure, on n’est pas toujours fou… Banos, disait la reine ; cela ne veut-il pas dire bains ?

— Je vous répète, mon fils, dit Anne d’Autriche, que votre belle-sœur est d’une jalousie puérile.

— En ce cas, Madame, répondit le prince, je m’accuse bien humblement d’avoir le même défaut qu’elle.

— Vous aussi, mon fils ?

— Certainement.

— Vous aussi, vous êtes jaloux de ces bains ?

— Parbleu !

— Oh !

— Comment ! le roi va se baigner avec ma femme et n’emmène pas la reine ? Comment ! Madame va se baigner avec le roi, et l’on ne me fait pas l’honneur de me prévenir ? Et vous voulez que ma belle-sœur soit contente ? et vous voulez que je sois content ?

— Mais, mon cher Philippe, dit Anne d’Autriche, vous extravaguez ; vous avez fait chasser M. de Buckingham, vous avez fait exiler M. de Guiche ; ne voulez-vous pas maintenant renvoyer le roi de Fontainebleau ?

— Oh ! telle n’est point ma prétention, Madame, dit aigrement Monsieur. Mais je puis bien me retirer, moi, et je me retirerai.

— Jaloux du roi ! jaloux de votre frère !

— Jaloux de mon frère ! du roi ! oui, Madame, jaloux ! jaloux ! jaloux !

— Ma foi, Monsieur, s’écria Anne d’Autriche en jouant l’indignation et la colère, je commence à vous croire fou et ennemi juré de mon repos, et vous quitte la place, n’ayant pas de défense contre de pareilles imaginations.

Elle dit, leva le siège et laissa Monsieur en proie au plus furieux emportement.

Monsieur resta un instant tout étourdi ; puis, revenant à lui, pour retrouver toutes ses forces, il descendit de nouveau à l’écurie, retrouva le palefrenier, lui redemanda un carrosse, lui redemanda un cheval ; et sur sa double réponse qu’il n’y avait ni cheval ni carrosse, Monsieur arracha une chambrière aux mains d’un valet d’écurie et se mit à poursuivre le pauvre diable à grands coups de fouet tout autour de la cour des communs, malgré ses cris et ses excuses ; puis, essoufflé, hors d’haleine, ruisselant de sueur, tremblant de tous ses membres, il remonta chez lui, mit en pièces ses plus charmantes porcelaines, puis se coucha, tout botté, tout éperonné dans son lit, en criant :

— Au secours !