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Condé, c’était un coup d’œil fait pour enchanter ceux qui, comme M. le Prince, étaient appréciateurs de tous les genres de beauté. Une jeune femme blonde, qui pouvait avoir vingt à vingt et un ans, et dont les grands yeux bleus dégageaient en s’ouvrant des flammes éblouissantes, marchait la première et fut présentée la première.

— Mademoiselle de Tonnay-Charente, dit à Monsieur la vieille madame de Navailles.

Et Monsieur répéta en saluant Madame :

— Mademoiselle de Tonnay-Charente.

— Ah ! ah ! celle-ci me paraît assez agréable, dit M. le Prince en se retournant vers Raoul… Et d’une.

— En effet, dit Raoul, elle est jolie, quoiqu’elle ait l’air un peu hautain.

— Ah ! nous connaissons ces airs-là, vicomte ; dans trois mois elle sera apprivoisée ; mais regardez donc, voici encore une beauté.

— Tiens, dit Raoul, et une beauté de ma connaissance même.

— Mademoiselle Aure de Montalais, dit madame de Navailles.

Nom et prénom furent scrupuleusement répétés par Monsieur.

— Grand Dieu ! s’écria Raoul fixant des yeux effarés sur la porte d’entrée.

— Qu’y a-t-il ? demanda le prince, et serait-ce mademoiselle Aure de Montalais qui vous fait pousser un pareil grand Dieu ?

— Non, Monseigneur, non, répondit Raoul tout pâle et tout tremblant.

— Alors si ce n’est mademoiselle Aure de Montalais, c’est cette charmante blonde qui la suit. De jolis yeux, ma foi ! un peu maigre, mais beaucoup de charme.

— Mademoiselle de La Baume Le Blanc de La Vallière, dit madame de Navailles.

À ce nom retentissant jusqu’au fond du cœur de Raoul, un nuage monta de sa poitrine à ses yeux.

De sorte qu’il ne vit plus rien et n’entendit plus rien, de sorte que M. le Prince ne trouvant plus en lui qu’un écho muet à ses railleries, s’en alla voir de plus près les belles jeunes filles que son premier coup d’œil avait déjà détaillées.

— Louise ici ! Louise demoiselle d’honneur de Madame ! murmurait Raoul.

Et ses yeux, qui ne suffisaient pas à convaincre sa raison, erraient de Louise à Montalais.

Au reste, cette dernière s’était déjà défaite de sa timidité d’emprunt, timidité qui ne devait lui servir qu’au moment de la présentation et pour les révérences.

Mademoiselle de Montalais, de son petit coin à elle, regardait avec assez d’assurance tous les assistants, et, ayant retrouvé Raoul, elle s’amusait de l’étonnement profond où sa présence et celle de son amie avaient jeté le pauvre amoureux.

Cet œil mutin, malicieux, railleur, que Raoul voulait éviter, et qu’il revenait interroger sans cesse, mettait Raoul au supplice.

Quant à Louise, soit timidité naturelle, soit toute autre raison dont Raoul ne pouvait se rendre compte, elle tenait constamment les yeux baissés, et, intimidée, éblouie, la respiration brève, elle se retirait le plus qu’elle pouvait à l’écart, impassible même aux coups de coude de Montalais.

Tout cela était pour Raoul une véritable énigme dont le pauvre vicomte eût donné bien des choses pour savoir le mot.

Mais nul n’était là pour le lui donner, pas même Malicorne, qui, un peu inquiet de se trouver avec tant de gentilshommes, et assez effaré des regards railleurs de Montalais, avait décrit un cercle, et peu à peu s’était allé placer à quelques pas de M. le Prince, derrière le groupe des filles d’honneur, presque à la portée de la voix de mademoiselle Aure, planète autour de laquelle, humble satellite, il semblait graviter forcément.

En revenant à lui, Raoul crut reconnaître à sa gauche des voix connues.

C’était, en effet, de Wardes, de Guiche et le chevalier de Lorraine qui causaient ensemble.

Il est vrai qu’ils causaient si bas, qu’à peine si l’on entendait le souffle de leurs paroles dans la vaste salle.

Parler ainsi de sa place, du haut de sa taille, sans regarder son interlocuteur, c’était un talent dont les nouveaux venus ne pouvaient atteindre du premier coup la sublimité. Aussi fallait-il une longue étude à ces causeries, qui, sans regards, sans ondulation de tête, semblaient la conversation d’un groupe de statues.

En effet, aux grands cercles du roi et des reines, tandis que leurs Majestés parlaient et que tous paraissaient les écouter dans un religieux silence, il se tenait bon nombre de ces silencieux colloques dans lesquels l’adulation n’était point la note dominante.

Mais Raoul était un de ces habiles dans cette étude toute d’étiquette, et, au mouvement des lèvres, il eût pu souvent deviner le sens des paroles.

— Qu’est-ce que cette Montalais ? demandait de Wardes. Qu’est-ce que cette La Vallière ? Qu’est-ce que cette province qui nous arrive ?

— La Montalais, dit le chevalier de Lorraine, je la connais : c’est une bonne fille qui amusera la cour. La Vallière, c’est une charmante boiteuse.

— Peuh ! dit de Wardes ; il y a sur les boiteuses des axiomes latins très-ingénieux et surtout fort caractéristiques.

— Messieurs, messieurs, dit de Guiche en regardant Raoul avec inquiétude, un peu de mesure, je vous prie.

Mais l’inquiétude du comte, en apparence du moins, était inopportune. Raoul avait gardé la contenance la plus ferme et la plus indifférente, quoiqu’il n’eût pas perdu un mot de ce qui venait de se dire. Il semblait tenir registre des insolences et des libertés des deux provocateurs pour régler avec eux son compte à l’occasion.

De Wardes devina sans doute cette pensée et continua :

— Quels sont les amants de ces demoiselles ?

— De la Montalais ? fit le chevalier.

— Oui, de la Montalais d’abord.

— Eh bien ! vous, moi, de Guiche, qui voudra, pardieu !

— Et de l’autre ?

— De mademoiselle de La Vallière ?

— Oui.