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léger. Cheval à tête plate, dit-on, ne fatigue jamais la main du cavalier. Le garrot est un peu bas. L’avalement de la croupe me ferait douter de la pureté de la race allemande. Il doit avoir du sang anglais. L’animal est droit sur ses aplombs, mais il chasse au trot ; il doit se couper. Attention à la ferrure. Il est, au reste, maniable. Dans les voltes et les changements de pied, je lui ai trouvé les aides fines.

— Bien jugé, monsieur de Malicorne, fit le comte. Vous êtes connaisseur.

Puis, se retournant vers le nouvel arrivé :

— Vous avez là un habit charmant, dit de Guiche à Malicorne. Il ne vient pas de province, je présume ; on ne taille pas dans ce goût-là à Tours ou à Orléans.

— Non, monsieur le comte, cet habit vient en effet de Paris.

— Oui, cela se voit… Mais retournons à notre affaire… Manicamp veut donc faire une seconde fille d’honneur ?

— Vous voyez ce qu’il vous écrit, monsieur le comte.

— Qui était la première déjà ?

Malicorne sentit le rouge lui monter au visage.

— Une charmante fille d’honneur, se hâta-t-il de répondre, mademoiselle de Montalais.

— Ah ! ah ! vous la connaissez, Monsieur ?

— Oui, c’est ma fiancée, ou à peu près.

— C’est autre chose, alors… Mille compliments ! s’écria de Guiche, sur les lèvres duquel voltigeait déjà une plaisanterie de courtisan, et que ce titre de fiancée donné par Malicorne à mademoiselle de Montalais rappela au respect des femmes.

— Et le second brevet, pour qui est-ce ? demanda de Guiche. Est-ce pour la fiancée de Manicamp ?… En ce cas, je la plains. Pauvre fille ! elle aura pour mari un méchant sujet.

— Non, monsieur le comte… Le second brevet est pour mademoiselle La Baume Le Blanc de La Vallière.

— Inconnue, fit de Guiche.

— Inconnue ? Oui, Monsieur, fit Malicorne en souriant à son tour.

— Bon ! je vais en parler à Monsieur. À propos, elle est demoiselle ?

— De très-bonne maison, fille d’honneur de Madame douairière.

— Très-bien ! Voulez-vous m’accompagner chez Monsieur ?

— Volontiers, si vous me faites cet honneur.

— Avez-vous votre carrosse ?

— Non, je suis venu à cheval.

— Avec cet habit ?

— Non, Monsieur ; j’arrive d’Orléans en poste, et j’ai changé mon habit de voyage contre celui-ci pour me présenter chez vous.

— Ah ! c’est vrai, vous m’avez dit que vous arriviez d’Orléans.

Et il fourra, en la froissant, la lettre de Manicamp dans sa poche.

— Monsieur, dit timidement Malicorne, je crois que vous n’avez pas tout lu.

— Comment, je n’ai pas tout lu ?

— Non, il y avait deux billets dans la même enveloppe.

— Ah ! ah ! vous êtes sûr ?

— Oh ! très-sûr.

— Voyons donc.

Et le comte rouvrit le cachet.

— Ah ! fit-il, c’est, ma foi, vrai.

Et il déplia le papier qu’il n’avait pas encore lu.

— Je m’en doutais, dit-il, un autre bon pour une charge chez Monsieur ; oh ! mais c’est un gouffre que ce Manicamp. Oh ! le scélérat, il en fait donc commerce ?

— Non, monsieur le comte, il veut en faire don.

— À qui ?

— À moi, Monsieur.

— Mais que ne disiez-vous cela tout de suite, mon cher monsieur de Mauvaisecorne.

— Malicorne !

— Ah ! pardon ; c’est le latin qui me brouille, l’affreuse habitude des étymologies. Pourquoi diantre fait-on apprendre le latin aux jeunes gens de famille ? Mala : mauvaise. Vous comprenez, c’est tout un. Vous me pardonnez, n’est-ce pas, monsieur de Malicorne ?

— Votre bonté me touche, Monsieur ; mais c’est une raison pour que je vous dise une chose tout de suite.

— Quelle chose, Monsieur ?

— Je ne suis pas gentilhomme : j’ai bon cœur, un peu d’esprit, mais je m’appelle Malicorne tout court.

— Eh bien ! s’écria de Guiche en regardant la malicieuse figure de son interlocuteur, vous me faites l’effet, Monsieur, d’un aimable homme. J’aime votre figure, monsieur Malicorne ; il faut que vous ayez de furieusement bonnes qualités pour avoir plu à cet égoïste de Manicamp. Soyez franc, vous êtes quelque saint descendu sur la terre.

— Pourquoi cela ?

— Morbleu ! pour qu’il vous donne quelque chose. N’avez-vous pas dit qu’il voulait vous faire don d’une charge chez le roi ?

— Pardon, monsieur le comte ; si j’obtiens cette charge, ce n’est point lui qui me l’aura donnée, c’est vous.

— Et puis il ne vous l’aura peut-être pas donnée pour rien tout à fait ?

— Monsieur le comte…

— Attendez donc : il y a un Malicorne à Orléans. Parbleu ! c’est cela ! qui prête de l’argent à M. le Prince.

— Je crois que c’est mon père, Monsieur.

— Ah ! voilà ! M. le Prince a le père, et cet affreux dévorateur de Manicamp a le fils. Prenez garde, Monsieur, je le connais ; il vous rongera, mordieu ! jusqu’aux os.

— Seulement, je prête sans intérêt, moi, Monsieur, dit en souriant Malicorne.

— Je disais bien que vous étiez un saint ou quelque chose d’approchant, monsieur Malicorne. Vous aurez votre charge ou j’y perdrai mon nom.

— Oh ! monsieur le comte, quelle reconnaissance ! dit Malicorne transporté.

— Allons chez le prince, mon cher monsieur Malicorne, allons chez le prince.

Et de Guiche se dirigea vers la porte en faisant signe à Malicorne de le suivre.

Mais au moment où ils allaient en franchir le