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— Oui ou non ; ce n’est pas bien difficile, ce me semble.

— Oh ! tu es bien heureuse, Montalais !

— Allons, ce qui veut dire que tu voudrais être à ma place ?

Louise se tut.

— Petite obstinée ! dit Montalais ; a-t-on jamais vu avoir des secrets pour une amie ! Mais avoue donc que tu voudrais venir à Paris, avoue donc que tu meurs d’envie de revoir Raoul !

— Je ne puis avouer cela.

— Et tu as tort.

— Pourquoi ?

— Parce que… Vois-tu ce brevet ?

— Sans doute que je le vois.

— Eh bien, je t’en eusse fait avoir un pareil.

— Par qui ?

— Par Malicorne.

— Aure, dis-tu vrai ? serait-ce possible ?

— Dame ! Malicorne est là, et ce qu’il a fait pour moi, il faudra bien qu’il le fasse pour toi.

Malicorne venait d’entendre prononcer deux fois son nom ; il était enchanté d’avoir une occasion d’en finir avec madame de Saint-Remy, et il se retourna.

— Qu’y a-t-il, Mademoiselle ?

— Venez ça, Malicorne, fit Montalais avec un geste impératif.

Malicorne obéit.

— Un brevet pareil, dit Montalais.

— Comment cela ?

— Un brevet pareil à celui-ci ; c’est clair.

— Mais…

— Il me le faut !

— Oh ! oh ! il vous le faut ?

— Oui.

— Il est impossible, n’est-ce pas, monsieur Malicorne ? dit Louise avec sa douce voix.

— Dame ! si c’est pour vous, Mademoiselle…

— Pour moi. Oui, monsieur Malicorne, ce serait pour moi.

— Et si mademoiselle de Montalais le demande en même temps que vous…

— Mademoiselle de Montalais ne le demande pas, elle l’exige.

— Eh bien ! on verra à vous obéir, Mademoiselle.

— Et vous la ferez nommer ?

— On tâchera.

— Pas de réponse évasive. Louise de La Vallière sera demoiselle d’honneur de Madame Henriette avant huit jours.

— Comme vous y allez !

— Avant huit jours, ou bien…

— Ou bien ?

— Vous reprendrez votre brevet, monsieur Malicorne ; je ne quitte pas mon amie.

— Chère Montalais !

— C’est bien, gardez votre brevet ; mademoiselle de La Vallière sera dame d’honneur.

— Est-ce vrai ?

— C’est vrai.

— Je puis donc espérer d’aller à Paris ?

— Comptez-y.

— Oh ! monsieur Malicorne, quelle reconnaissance ! s’écria Louise en joignant les mains et en bondissant de joie.

— Petite dissimulée ! dit Montalais, essaie encore de me faire croire que tu n’es pas amoureuse de Raoul.

Louise rougit comme la rose de mai ; mais, au lieu de répondre, elle alla embrasser sa mère.

— M. Malicorne est un prince déguisé, répliqua la vieille dame ; il a tous les pouvoirs.

— Voulez-vous aussi être demoiselle d’honneur ? demanda Malicorne à madame de Saint-Remy. Pendant que j’y suis, autant que je fasse nommer tout le monde.

Et, sur ce, il sortit laissant la pauvre dame toute déferrée comme dirait Tallemant des Réaux.

— Allons, murmura Malicorne en descendant les escaliers, allons, c’est encore un billet de mille livres que cela va me coûter ; mais il faut en prendre son parti ; mon ami Manicamp ne fait rien pour rien.


LXXIX

MALICORNE ET MANICAMP.


L’introduction de ces deux nouveaux personnages dans cette histoire, et cette affinité mystérieuse de noms et de sentiments méritent quelque attention de la part de l’historien et du lecteur.

Nous allons donc entrer dans quelques détails sur M. Malicorne et sur M. de Manicamp.

Malicorne, on le sait, avait fait le voyage d’Orléans pour aller chercher ce brevet destiné à mademoiselle de Montalais, et dont l’arrivée venait de produire une si vive sensation au château de Blois.

C’est qu’à Orléans se trouvait pour le moment M. de Manicamp. Singulier personnage s’il en fut que ce M. de Manicamp : garçon de beaucoup d’esprit, toujours à sec, toujours besogneux, bien qu’il puisât à volonté dans la bourse de M. le comte de Guiche, l’une des bourses les mieux garnies de l’époque.

C’est que M. le comte de Guiche avait eu pour compagnon d’enfance ce M. de Manicamp, pauvre gentillâtre vassal, né des Grammont.

C’est que M. de Manicamp, avec son esprit, s’était créé un revenu dans l’opulente famille du maréchal.

Dès l’enfance, il avait, par un calcul fort au-dessus de son âge, prêté son nom et sa complaisance aux folies du comte de Guiche. Son noble compagnon avait-il dérobé un fruit destiné à madame la maréchale, avait-il brisé une glace, éborgné un chien, de Manicamp se déclarait coupable du crime commis, et recevait la punition, qui n’en était pas plus douce pour tomber sur l’innocent.

Mais aussi, ce système d’abnégation lui était payé. Au lieu de porter des habits médiocres comme la fortune paternelle lui en faisait une loi, il pouvait paraître éclatant, superbe, comme