l’État exigeait que vous fissiez le sacrifice… Passons.
— Je crois que j’ai épuisé l’orgueil. Il y a un autre péché que j’ai peur de qualifier…
— Je le qualifierai, moi… Dites toujours.
— Un bien grand péché, mon révérend.
— Nous verrons, Monseigneur.
— Vous ne pouvez manquer d’avoir ouï parler de certaines relations que j’aurais eues… avec Sa Majesté la reine mère… Les malveillants…
— Les malveillants, Monseigneur, sont des sots… Ne fallait-il pas, pour le bien de l’État et pour l’intérêt du jeune roi, que vous vécussiez en bonne intelligence avec la reine ? Passons, passons.
— Je vous assure, dit Mazarin, que vous m’enlevez de la poitrine un terrible poids.
— Vétilles que tout cela !… Cherchez les choses sérieuses.
— Il y a bien de l’ambition, mon révérend…
— C’est la marche des grandes choses, Monseigneur.
— Même cette velléité de la tiare ?…
— Être pape, c’est être le premier des chrétiens… Pourquoi ne l’eussiez vous pas désiré ?
— On a imprimé que j’avais, pour arriver là, vendu Cambrai aux Espagnols.
— Vous avez fait peut-être vous-même des pamphlets sans trop persécuter les pamphlétaires ?
— Alors, mon révérend, j’ai vraiment le cœur bien net. Je ne sens plus que de légères peccadilles.
— Dites.
— Le jeu.
— C’est un peu mondain ; mais enfin, vous étiez obligé, par le devoir de la grandeur, à tenir maison.
— J’aimais à gagner…
— Il n’est pas de joueur qui joue pour perdre.
— Je trichais bien un peu…
— Vous preniez votre avantage. Passons.
— Eh bien ! mon révérend, je ne sens plus rien du tout sur ma conscience. Donnez-moi l’absolution, et mon âme pourra, lorsque Dieu l’appellera, monter sans obstacle jusqu’à son trône…
Le théatin ne remua ni les bras ni les lèvres.
— Qu’attendez-vous, mon révérend, dit Mazarin.
— J’attends la fin.
— La fin de quoi ?
— De la confession, Monseigneur.
— Mais j’ai fini.
— Oh ! non ! Votre Éminence fait erreur.
— Pas que je sache.
— Cherchez bien.
— J’ai cherché aussi bien que possible.
— Alors je vais aider votre mémoire.
— Voyons.
Le théatin toussa plusieurs fois.
— Vous ne me parlez pas de l’avarice, autre péché capital, ni de ces millions, dit-il.
— Quels millions, mon révérend ?
— Mais ceux que vous possédez, Monseigneur.
— Mon père, cet argent est à moi, pourquoi vous en parlerais-je ?
— C’est que, voyez-vous, nos deux opinions diffèrent. Vous dites que cet argent est à vous, et, moi, je crois qu’il est un peu à d’autres.
Mazarin porta une main froide à son front perlé de sueur.
— Comment cela ? balbutia-t-il.
— Voici. Votre Éminence a gagné beaucoup de biens au service du roi…
— Hum ! beaucoup… ce n’est pas trop.
— Quoi qu’il en soit, d’où venait ce bien ?
— De l’État.
— L’État, c’est le roi.
— Mais que concluez-vous, mon révérend ? dit Mazarin, qui commençait à trembler.
— Je ne puis conclure sans une liste des biens que vous avez. Comptons un peu, s’il vous plaît : Vous avez l’évêché de Metz ?
— Oui.
— Les abbayes de Saint-Clément, de Saint-Arnoud et de Saint-Vincent, toujours à Metz ?
— Oui.
— Vous avez l’abbaye de Saint-Denis, en France, un beau bien.
— Oui, mon révérend.
— Vous avez l’abbaye de Cluny, qui est si riche !
— Je l’ai.
— Celle de Saint-Médard, à Soissons, cent mille livres de revenus !
— Je ne le nie pas.
— Celle de Saint-Victor, à Marseille, une des meilleures du Midi !
— Oui, mon père.
— Un bon million par an. Avec les émoluments du cardinalat et du ministère, c’est peut-être deux millions par an.
— Eh !
— Pendant dix ans, c’est vingt millions… et vingt millions placés à cinquante pour cent donnent, par progression, vingt autres millions en dix ans.
— Comme vous comptez, pour un théatin !
— Depuis que Votre Éminence a placé notre ordre dans le couvent que nous occupons près de Saint-Germain-des-Prés, en 1644, c’est moi qui fais les comptes de la société.
— Et les miens, à ce que je vois, mon révérend.
— Il faut savoir un peu de tout, Monseigneur.
— Eh bien ! concluez à présent.
— Je conclus que le bagage est trop gros pour que vous passiez à la porte du paradis.
— Je serai damné ?
— Si vous ne restituez pas, oui.
Mazarin poussa un cri pitoyable.
— Restituer ! mais à qui, bon Dieu !
— Au maître de cet argent, au roi !
— Mais c’est le roi qui m’a tout donné !…
— Un moment ! le roi ne signe pas les ordonnances.
Mazarin passa des soupirs aux gémissements.
— L’absolution, dit-il.
— Impossible, Monseigneur… Restituez, restituez, répliqua le théatin.
— Mais, enfin, vous m’absolvez de tous les péchés ; pourquoi pas de celui-là ?
— Parce que, répondit le révérend, vous absoudre pour ce motif est un péché dont le roi ne m’absoudrait jamais, Monseigneur.
Là-dessus, le confesseur quitta son pénitent avec une mine pleine de componction, puis il sortit du même pas qu’il était entré.