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et encore se le reprocha-t-elle plus d’une fois comme un crime.

Au bout de trois années, cette existence désolée faillit avoir un dénouement tragique.

Une nuit, Pierre Manas rentra dans un désordre affreux. Contre son habitude il n’était qu’à moitié ivre ; il se trouvait dans cette période de l’ivresse qui prélude à la réaction torpide, et dans laquelle le vin n’agit encore que comme excitant. De plus, des matelots l’avaient battu, et, comme il tirait grande vanité de sa force physique, l’humiliation qu’il avait subie le rendait furieux ; il fut heureux de trouver un être faible sur lequel il pourrait venger sa déconvenue ; il rendit à sa femme les coups qu’il avait reçus des matelots. La pauvre Millette y était tellement habituée, que ses yeux, qui pleuraient sur l’abjection de son mari, ne trouvaient plus de larmes sur ses propres souffrances.

Ennuyé de la monotonie de cet exercice, Pierre Manas chercha une autre distraction. Malheureusement, en furetant dans tous les coins, il découvrit un verre d’eau-de-vie au fond d’une bouteille ; il le but et laissa au fond du verre le peu de raison qui lui restait.

Alors, il lui passa par le cerveau une idée étrange, une de ces idées qui rapprochent l’ivresse de la folie.