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respect que lui inspirait Madeleine ; ce respect dégageait cet amour de toute aspiration terrestre ; il lui inspirait la foi profonde, l’humilité sincère et aussi les élans passionnés d’un dévot pour la Madone. C’était un culte, une idolâtrie. Il eût volontiers traversé à la nage le bras de mer qui sépare l’île de Pomègue de Montredon, pour respirer l’air que respirait sa bien-aimée, et il n’eût pas osé, cette prouesse achevée, toucher du bout de son doigt le bas de la robe de la jeune fille pour le porter à ses lèvres ; cette robe lui semblait de marbre comme celle d’une statue, et jamais son imagination n’avait songé à en interroger les plis.

Il baissait les yeux lorsqu’il rencontrait Mlle Riouffe, et elle avait pris dans sa vie le rôle que Dieu a donné au soleil dans la nature ; Marius semblait la fuir, et cependant sa pensée était perpétuellement présente à son esprit.

Cette contradiction apparente, dans une âme susceptible de résolutions énergiques, s’explique par le sentiment que Marius avait de son infériorité vis-à-vis de Madeleine ; il y avait si loin, de la jeune fille inscrite au livre d’or du haut commerce marseillais, à un pauvre enfant sans nom, élevé par la charité d’un maître portefaix, qu’il ne lui paraissait pas possible que cette distance fût un jour franchie ; il aimait sans espoir, et sa passion n’en était que plus