Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Non, ce n’est pas pour moi que je m’attriste, je saurai toujours bien me tirer d’affaire, moi ; mes livres, mes crayons, mon piano, toutes choses qui ne coûtent pas cher et que je pourrai toujours me procurer, me resteront toujours. Vous pensez peut-être que je m’afflige pour madame Danglars, détrompez-vous encore : ou je me trompe grossièrement, ou ma mère a pris toutes ses précautions contre la catastrophe qui vous menace et qui passera sans l’atteindre ; elle s’est mise à l’abri, je l’espère, et ce n’est pas en veillant sur moi qu’elle a pu se distraire de ses préoccupations de fortune ; car, Dieu merci, elle m’a laissé toute mon indépendance sous le prétexte que j’aimais ma liberté.

Oh ! non, monsieur, depuis mon enfance j’ai vu se passer trop de choses autour de moi ; je les ai toutes trop bien comprises, pour que le malheur fasse sur moi plus d’impression qu’il ne mérite de le faire ; depuis que je me connais, je n’ai été aimée de personne ; tant pis ! cela m’a conduite tout naturellement à n’aimer personne ; tant mieux ! Maintenant vous avez ma profession de foi.

— Alors, dit Danglars, pâle d’un courroux qui ne prenait point sa source dans l’amour paternel offensé ; alors, mademoiselle, vous persistez à vouloir consommer ma ruine ?

— Votre ruine ? Moi, dit Eugénie, consommer votre ruine ! que voulez-vous dire ? je ne comprends pas.

— Tant mieux, cela me laisse un rayon d’espoir ; écoutez.

— J’écoute, dit Eugénie en regardant si fixement son père, qu’il fallut à celui-ci un effort pour qu’il ne baissât point les yeux sous le regard puissant de la jeune fille.

— M. Cavalcanti, continua Danglars, vous épouse, et en vous épousant vous apporte trois millions de dot qu’il place chez moi.