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homme qui donnerait tout son sang pour lui épargner une larme, j’aime Valentine de Villefort, qu’on assassine en ce moment, entendez-vous bien ! je l’aime, et je demande à Dieu et à vous comment je puis la sauver !

Monte-Cristo poussa un cri sauvage dont peuvent seuls se faire une idée ceux qui ont entendu le rugissement du lion blessé.

— Malheureux ! s’écria-t-il en se tordant les mains à son tour, malheureux ! tu aimes Valentine ! tu aimes cette fille d’une race maudite !

Jamais Morrel n’avait vu semblable expression ; jamais œil si terrible n’avait flamboyé devant son visage, jamais le génie de la terreur, qu’il avait vu tant de fois apparaître, soit sur les champs de bataille, soit dans les nuits homicides de l’Algérie, n’avait secoué autour de lui de feux plus sinistres.

Il recula épouvanté.

Quant à Monte-Cristo, après cet éclat et ce bruit, il ferma un moment les yeux, comme ébloui par des éclairs intérieurs : pendant ce moment, il se recueillit avec tant de puissance, que l’on voyait peu à peu s’apaiser le mouvement onduleux de sa poitrine gonflée de tempêtes, comme on voit après la nuée se fondre sous le soleil les vagues turbulentes et écumeuses.

Ce silence, ce recueillement, cette lutte, durèrent vingt secondes à peu près.

Puis le comte releva son front pâli.

— Voyez, dit-il d’une voix à peine altérée, voyez, cher ami, comme Dieu sait punir de leur indifférence les hommes les plus fanfarons et les plus froids devant les terribles spectacles qu’il leur donne. Moi qui regardais, assistant impassible et curieux, moi qui regardais le développement de cette lugubre tragédie ; moi qui, pareil